Eisuke Naitô fait partie de la nouvelle génération de réalisateur japonais. Avec une dizaines de films à son actif pour le cinéma et la télévision, il commence à se construire un nom et un style. Avec Liverleaf sorti en 2018, il se lance dans un revenge movie à l'ancienne sur fond de harcèlement scolaire et critique du silence de la société japonaise sur ce fléau. Sans être exempt de défauts le film frappe fort et juste.
Haruka et sa famille ont déménagé de Tokyo pour la province afin de suivre le père de famille dans sa nouvelle activité. Si les premiers temps au lycée se sont bien déroulés, Haruka devient rapidement la victime de harcèlement : insulte, bizutage, humiliation. Ses bourreaux inventent chaque jour de nouvelles souffrances sous le regard complaisant des enseignants et de la direction qui cherchent avant tout à ne pas froisser le conseil des parents. Seules éclaircies dans cette horreur quotidienne, sa petite soeur aimante et un des garçons du lycée vivant avec sa grand mère qui nourrit des sentiments pour Haruka. Jusqu'au jour où les harceleurs poussent un cran plus loin leur cruauté et incendient la maison de leur victime causant la mort de ses parents et laissant sa jeune soeur gravement blessée. Pour celle qui est désormais orpheline le temps de la vengeance est advenu.
Un triple enjeu
Liverleaf c'est la rencontre du film de vengeance old school comme on en voit peu, de la satyre scolaire et de la critique sans concession d'une jeunesse désorientée. Il y a en effet dans ce film une mise en scène de la violence qui emprunte autant à Miike qu'à Battle Royale. Toute la seconde partie du film insiste sur l'implacable vendetta de Haruka mise en scène avec emphase. Le réalisateur nous offre la sanglante quête d'un ange transformé en démon et l'on sent l'influence de Miike dans sa manière de mettre en scène des passages courts et violents.
Le film s'attaque aussi à un thème très souvent repris dans le cinéma japonais : les violences scolaires. Nous avons déjà ici salué l'extraordinaireconfession ou le très bon lesson of evil. Liverleaf poursuit la dénonciation de cette violence quotidienne souvent impunie à cause notamment d'une loi protégeant de poursuite les mineurs coupables de faits graves. Le film insiste surtout sur l'aveuglement complice de l'institution scolaire et sur l'impuissance des professeurs. Ce discours vient d'ailleurs s'appuyer sur une mise en accusation sévère des familles n'éduquant pas leurs enfants. Le film enfin vient égratigner la jeune génération incapable d'assumer ses actes et virtualisant une partie de sa vie. Cela rappelle l'excellent The Hungry Lion.
Une réalisation ambitieuse mais qui veut en faire trop
Fort dans son propos et dans ses intentions, Liverleaf s'appuie sur une réalisation très solide. Le réalisateur a choisi de place son intrigue dans une petite bourgade enneigée, boueuse, froide. Ces éléments naturels viennent renforcer l'ambiance : isolement, fausse pureté d'une neige qui devient de la boue. Le blanc offre surtout un contraste avec le rouge du sang. Eisuke Natô construit de nombreux plans autour de ces deux couleurs renforçant la violence du récit. Très appréciable aussi est la construction du récit qui prend le temps d'installer ses personnages, de placer en amont des éléments qui viennent donner de la consistance au parcours de la victime et de ses bourreaux. Car chaque personnage (adulte et enfant) cache des secrets, des envies non assumées ou refoulées. Les rebondissements sont nombreux et très bien trouvés. L'autre qualité du réalisateur concerne la direction des acteurs. Leur rôle est en effet plus complexe que de simples bourreaux devenus victimes expiatoires. Leur dualité, leur désir notamment sexuel inavoué, leur blessure de jeunesse, leur offrent de jouer sur de nombreux registres sans tomber dans l'excès. Tous jouent à la perfection des rôles durs.
Sujet riche, caméra maîtrisée, tout était réuni pour faire de liverleaf un très bon film. Mais deux fautes de gout viennent tenir le bilan. D'abord une envie de trop en faire dans le gore (voir la scène de l'engin mécanique) qui nuit parfois au propos comme si le réalisateur voulait trop imiter son modèle Miike. Second défaut lié au précédent, des effets numériques très grossiers qui tranchent avec la réalisation impeccable de la majeure partie du film. C'est très dommageable car cela risque de faire sortir du film une partie des spectateurs.
Liverleaf au final est un bon film de vengeance et de satyre du milieu scolaire. Son réalisateur a du talent et parions qu'avec plus de maîtrise il attendra vite l'excellence.
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