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critique de Lesson of the Evil : Takashii Miike le polymorphe(II)

Lesson of the evil (2013)


S'il y a bien un réalisateur japonais qui est difficile à cerner c'est Takashi Miike. D'abord l'homme tourne beaucoup : 70 oeuvres pour le cinéma, théâtre et la télévision depuis 1991. Il semble même être boulimique puisque pour les seules années 2000 et 2001 il est crédité de 14 production/réalisations. 

Il est surtout éclectique. Vous trouverez aussi bien des films de superhéros à la japonaise (Zebraman), des films de yakusas (Dead or Alive),  des adaptations de manga (Ichi the Killer), des romances (For love's sake), des thrillers (Shield of straw), des films de sabre (13 assassins)  et des films poétiques (Bird people of China). Son style est techniquement très travaillé, ses réalisations marquées par le mélange des genres et un goût prononcé pour la violence assez crue (style Kitano), le fantastique et la transgression.  Il y a une chose qui est sûr : chaque film de cet admirateur de Lynch et Cronenberg est une surprise. Impossible de savoir ce qu'il nous prépare. Pour saisir l'incroyable complexité de grand réalisateur, un exemple avec cette satyre scolaire/revenge movie/adaptation du roman noir de Kishi Yusuke

Hasumi, un ami qui vous veut du bien 

Hasumi Seiji est un professeur d'anglais adoré par ses élèves, qui le surnomment affectueusement Hasumin, et respecté de ses collègues et de sa hiérarchie qui s'appuie souvent sur lui pour régler les différents incidents qui surgissent au sein du lycée. Un héros au grand coeur doté d'humour, de charme et de charisme. De quoi ramener de la sérénité dans l'univers pas très rose des lycées.


Mais derrière ce masque d'homme parfait se cache en fait un dangereux psychopathe prêt à tout pour faire tourner les choses à sa convenance. Capable d'élaborer les plans les plus machiavéliques pour éliminer les personnes qui le gênent, il se retrouve piégé par l'escalade de violence qu'il a lui-même initiée. Il ne lui reste alors plus qu'une seule solution pour s'en sortir : massacrer tous ses élèves.  

Gto et Battle royale réunis

Cela commence comme GTO et cela finit comme Battle Royale. Film dérangeant certes mais film terriblement brillant. D'abord par son scénario. Rien ne prépare à la plongée dans l'âme torturée d'Hasumi. C'est le gendre idéal, un prof à l'écoute, audacieux et imaginatif. A contrario, tous ses collègues semblent eux suspects. C'est la première force du film : ce profond décalage renforcé par l'opposition entre le lieu de travail lumineux, coloré d'Hasumi et sa maison inquiétante, sombre, un quasi taudis. Un Janus insondable. 


L'autre intérêt concerne la psychologie d'Hasumi, un obsédé du contrôle et du chantage qui lentement tisse sa toile autour de ses élèves et de ses collègues. Totalement rationnel il passe la moitié du temps à accumuler les preuves,  diviser les profs et les élèves, à éliminer progressivement les gêneurs jusqu'au final sanglant. La scène du toit avant la tuerie est très forte sur ce point. Mais ce n'est pas un coup de folie, c'est une manoeuvre réfléchie. Miike décrit un vrai esprit malade.  On ne peut s'empêcher de repenser les tueries scolaires qui secouent l'Amérique et la récente proposition de la NRA d'armer les enseignants !! 

Un film à messages

L'autre point fort c'est le contexte social. Miike ne tombe pas dans le simple film brut de décoffrage. Il s'amuse à pointer du doigt toutes les dérives du milieu scolaire : les parents d’élèves qui se défoulent sur les enseignants, les querelles amoureuses ou d’intérêts (le système des tricheurs) entre étudiants, et les  relations professeurs-élève (le harcèlement d’une étudiante, une liaison homo, la fascination du professeur). Amoral, violent, silencieux,  fourbe, l'univers clos de l'école perd tout romantisme. Chaque axe est amené avec finesse et traité complètement avant d'être dénoué violemment par le professeur psychopathe. On ne peut s'empêcher de comparer ici le film avec GTO. Là où Onizuka utilisait la dérision, l'humour, la provocation pour changer le système, Hasumi utilise la violence.  Cette forte critique donne au film sa singularité : thriller drame puis films gore. Miike glisse de l'un à l'autre avec une virtuosité étonnante. 

Le film est aussi terriblement symbolique. Les références aux deux corbeaux d'Odin, Hugin et Mugin (pensée et mémoire) hantent véritablement l'esprit du prof. Il oscille entre le deux et sa vie s'apparente à une fuite en avant. Il semble même que l'univers scolaire devient le lieu idéal où s'expriment, s'exorcisent ses démons. Les dernières 40 minutes sont un sommet de film noir, de violence sèche. Véritable survival movie, rien ne vient limiter la force du propos jusqu'au-boutiste de Miike jusqu'à l'ultime scène du film qui relance encore l'intrigue. La réalisation c'est du Miike en forme olympique. Un sens du rythme (lenteur qui renforce le massacre final),  un formidable montage, un sens de l'enchaînement unique, une capacité à  générer de l'angoisse en quelques secondes, la beauté des plans même dans les scènes gores, une mise en scène incroyable de justesse (la scène de la fusillade dans les escaliers) et une gestion des comédiens parfaite. Mention spéciale pour Ito Hideaki, malsain, charmeur, manipulateur à souhait.  

Au bout de 2 heures Miike nous livre un film unique par sa transgression et son audace. Difficile de sortie indemne tant l'esprit est chamboulé par ce conte scolaire horrifique. 

Commentaires

  1. tiens un prof qui regarde ce genre de film.... pas très rassurant pour tes élèves ;-)

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