A redécouvrir

noir c'est noir

La déferlante de polar noir made in Asia (principalement made is Corée du Sud) a secoué le paysage du cinéma mondial. Il suffit de citer Old Boy, The Chaser, I saw the devil, Memory of murder pour se remémorer ces polars rageux, brutes, désenchantés où la vengeance crue côtoie l'incarnation du mal absolu, où la police en prend systématiquement pour son grade. 2 films portent encore plus haut la qualité de ce 7è art asiatique.

Un film coréen d'abord : Children de Lee Kyu Man. Une fois encore l'histoire se base sur de véritables faits divers. Nous sommes à Daegu, en 1991, en pleine période électorale. 5 enfants partis chercher des salamandres dans la montagne disparaissent. Une dizaine d'années plus tard au début des années 2000, leurs os sont retrouvés dans les alentours de leur hameau. On découvre des traces de torture qui laissent supposer une mort atroce. Le film met en scène sur 10 ans l'enquête menée par un producteur de télévision de Séoul exilé à Daegu pour avoir truqué son dernier documentaire et un professeur spécialiste du comportement. Ce qui frappe dès le début, c'est le couple de deux antihéros à travers lesquels le spectateur suit l'histoire. Le producteur est à la recherche d'un scoop et semble peu intéressé par le drame des parents. Il va presque par accident s'attacher à ce professeur qui par intuition et sans preuves soupçonne les parents d'avoir tué les enfants. Le producteur sans scrupules saute sur l'occasion de tenir l'affaire du siècle et de revenir vite à Séoul.  La première partie du film présente dès lors une vraie déconstruction du héros à travers deux itinéraires inverses : le professeur, prétentieux, sûr de lui,  perd tout crédit par ses accusations amenant les autorités à aller creuser sous les maisons des parents pour finalement ne rien trouver, une vraie déchéance qui le fait disparaitre, sombrer dans la dépression perdant toute son assurance, son autorité. A l'inverse le producteur, cynique se prend de passion pour les victimes ; la découverte des corps dans la montage le lance sur une course poursuite effrénée du coupable, d'un coupable possible qui sera relâché par manque de preuve. Cela offre au film une fin très étonnante et réussie. Réussi aussi l'ambiance très dérangeante, une façon de filmer très froide, peu d'effets visuels aussi fort que dans Memories of murder (qui traite d'un thème similaire), des plans très documentaires. Certaines scènes rendent mal à l'aise. Il convient aussi d'évoquer le rôle des parents des enfants, extrêmement touchant, fort. La façon dont ils encaissent la théorie du professeur est un des points forts du film, dont ils subissent la médiatisation de leur affaire et tous les effets secondaires inévitables et désagréables. Ce film laisse le spectateur dans un état de frustration très fort : pas de happy end, pas de solutions inventées, il nous laisse en plein milieu du gué avec ces 5 corps décomposés, une myriade de questions. Moins fort visuellement que Memories of Murder, Children marche cependant par son traitement très clinique et le traitement des personnages principaux.
Le second film est japonais et c'est le  film coup de poing de ces 10 dernières années. Confession de Nakashima Tetsuya. Le synopsis pose les bases d'une histoire noire de chez noire :  Yuko Moriguchi institutrice est effondrée par la mort de sa fille de quatre ans, retrouvée noyée dans la piscine de son école. Accident a conclu la police mais elle suspecte  puis découvre que plusieurs de ses élèves ont en réalité assassiné sa fille. Elle enclenche une vengeance machiavélique. Film dense, riche, il déroule une réflexion aussi complexe, qu'intelligente sur la société, reprenant des thèmes classique de la lutte entre génération avec subtilité et provocation.. La scène d'ouverture est un modèle de genre, peut être la plus belle, la plus frappante qu'il m'ait été donnée de voir. Pendant une longue séquence de 15 mn, elle nous plonge dans la classe où l'institutrice d'une voix calme, posée, déclame un discours dont les élèves n'ont rien à faire et puis elle lâche sa bombe : il y a deux meurtriers dans la classe, elle les connait, les nomme et a versé du sang contaminé dans leur lait. La bombe explose, le film part en mille morceaux, réunis par une narration et un montage exemplaire . Il se construit en effet autour de plusieurs points de vue racontant les jours entre la fameuse déclaration jusqu'à la vengeance : celui des tueurs, de la mère, d'une camarade de classe... La force de cette narration c'est la variété des thématiques. Une jeunesse dopée à la vitesse sans repères ni limites, des parents absents couvrant leurs enfants au de-là de la décence, une société, une police désemparées, la loi japonaise face à ses contradiction car elle interdit de condamner toute personne de moins de 13 ans (l'âge des coupables), le couple fils-mère représenté ici par les meurtriers et leur institutrice dont ils ont tué la fille par jalousie et par jeu. La cruauté aussi des jeunes car à la vengeance de la mère se double celle des jeunes entre eux qui à la fois nient l'absolue violence du crime et règlent leur compte avec l'un des deux tortionnaires -le suiveur, le plus faible- tout en douceur, tout en cruauté. Le réalisateur pose aussi la question de la rédemption : que faire quand un meurtrier n'éprouve aucun remord, a une conception de la vie/de la mort cynique et désabusé. Il va au bout de sa démonstration en montrant comment l'institutrice va lentement déceler la fragilité et l'exploiter dans son projet mortifère. Et le plus troublant dans ce film c'est que l'on se range du côté de la mère et que l'on souhaite voir sa vengeance sanglante s'accomplir. Pour accompagner cette vertigineuse plongée dans l'âme, le film dispose d'un montage exceptionnel : des milliers de plans, de ralentis, de flashbacks, d'aller-retours entre les différents protagonistes, un montage aussi fort que  All About Lilly Chou Chou. Chaque scène est un objet d'art, chaque détail prend son importance : un dessin, un porte clé. Les acteurs sont exceptionnels : la mère et les femmes du film retranscrivent la douleur d'être mère active dans le Japon actuel, les jeunes sont très bons et les deux "meurtriers" livrent une composition d'une maturité d'une gravité étonnante. La musique est aussi très bonne. Vous avez compris c'est un chef d'oeuvre, l'acte de naissance d'un grand cinéaste dont j'espère voir ses oeuvres futures sur grand écran.

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