Au soir du 24 octobre la première phase du plan japonais a échoué occasionnant de lourdes pertes. C'est à ce moment qu'entre en scène le brouillard de guerre, cette difficulté à sonder les intentions de l'adversaire qui va se retourner contre les E.U.A et les amener au bord du désastre.
Acte II : Halsey perd le Nord
Depuis la détection de la flotte de Kurita et de Nishimura, l'Amiral Halsey à la tête du Task Groupe 38 a une certitude. Cette sortie des navires est le prélude à une attaque en masse de la flotte nippone. Il est même convaincu que la flotte de Kurita est une diversion pour attirer l'essentiel de ses moyens aériens et ainsi laisser ses portes-avions vulnérables à une attaque des portes-avions japonais.
Halsey ne peut imaginer que les Japonais ont conçu un plan hétérodoxe où les portes-avions sont en réalité l'appât. Or plusieurs aléas de la bataille vont conforter Halsey dans sa conviction. D'abord ils ignorent qu'une partie de l'aviation embarquée nippone est déployée aux Philippines ce qui amène à une méprise. Ces appareils repérés lors des attaques du 24 octobre sont identifiés comme provenant d'un porte-avions ce qui est faut. Ensuite au soir du 24 octobre, Kurita fait demi-tour confirmant l'hypothèse d'Halsey d'une fausse attaque. Un autre élément va jouer en défaveur des E.U.A : la caractère fonceur de « Bull » Halsey ». Habitué aux coups d'audace, Halsey veut finir ce qui a été entamé lors de la bataille de la Mer des Philippines : éliminer toutes les forces japonaises. Il décide de reformer son groupe naval qu'il scinde en 2 groupes. La TF 38 regroupe tous ses portes-avions, la TF 34 regroupe 6 cuirassées rapides, 7 croiseurs et 8 destroyers. Il charge ses porte-avions de débusquer les navires japonais et de les endommager avant que ses cuirassés ne les achèvent au canon.
Du côté japonais, l'amiral Ozawa a déployé un luxe d'effort pour se faire repérer par les étatusniens. Ce n'est que vers 16h40 que les avions étatsuniens signalent enfin la force nippone au Nord. Les rapports flous indiquent 3 porte-avions, 4 cuirassés, 8 croiseurs et 9 destroyers mais elle convainc Halsey que la menace principale est au Nord et qu'il doit l'affronter avec toutes ses forces. La TF 38 et TF 34 foncent au Nord abandonnant la surveillance du détroit de San Bernadino. Mais à la suite de confusion la vice-amiral Kinkaid commandant la 7ème flotte dans le Golfe de Leyte est persuadé que la TF 34 garde toujours le détroit de San Bernadino. Une faille vient se s'ouvrir dans la défense étatusnienne dont va profite l'amiral Kurita.
Acte III : le sacrifice de la force diversion
Halsey va donc rattraper la flotte de Kurita au large de Cap Engano. La disproportion des force est accentuée par la quasi absence d'aviation au dessus des navires nippons. Le 25 octobre à 7 h 35, les avions de reconnaissance étatsuniens détectent la force du Nord. La TF 38 va donc lancer jusqu'au coucher du soleil 5 vagues d'assaut qui ne rencontreront pratiquement aucune résistance. Mais dès la première attaque les pilotes étatsuniens sont saisis par le faible nombre de chasseurs de protection et l'absence d'avions sur les ponts d'envol. La flotte d'Ozawa va jouer parfaitement son rôle de diversion. Le porte-avions Zuikaku, dernier survivant de la bataille de Pearl Harbor est touché ainsi que les porte-avion légérs Chitose, Zuiho et Chiyoda. A 14h30, le Zuikaku coule après avoir encaissé de lourds coups, le Zuiho, le Chiyoda et le Chitose le suivront. Les sous-marins étatsuniens attaquent à leur tour la flotte coulant un croiseur léger tandis que les croiseurs américains tentent d'intercepter les rescapés en vain. Acourt de carburant, les navires d'Ozawa ont fait demi-tour leur mission accomplie.
Pour Halsey la victoire est assurée. Pourtant dès 10 heures le doute et les critiques l'assaillent. En effet l'amiral Nimitz n'a eu de cesse de l'interroger sur la position de la TF 34. De plus l'amiral Kinkaid lui envoie des messages alarmistes l'informant de combats désespérés contre des navires lourds japonais. Enfin les rapports de ses pilotes sont unanimes : la flotte japonaise est vide d'avions. Partagé entre ses conviction et ces messages, Halsey hésitent avant de trancher. A midi la TF 34 doit rebrousser chemin accompagnée par 3 portes-avions rapides, 3 croiseurs et 8 destroyers afin de porter secours à la VIIème flotte. Cette TF 34 va connaître en définitive le même destin que corps de Drouet d'Erlon au moment de la bataille de Ligny, Quatre-Bras. Ordre et contre-ordre lui auront faire perdre son temps et l'empêcheront d'avoir participé à aucun des deux engagements.
Ainsi, alors qu'au Nord, l'U.S Navy a remporté une victoire écrasante, un désastre la menace au Sud.
Acte IV : l'hésitation de Kurita
La nuit du 25 octobre, les navires de Kurita ont fait demi-tour et force le détroit de San Bernadino. A leur plus grand étonnement, le passage est vide. Pas un navires à la bannière étoilée à l'horizon. Les navires japonais filent au large de Samar en direction des forces amphibies. Face à eux ne se trouvent que des éléments de la 7ème flotte : les porte-avions d'escorte et des destroyers, des navires légers destinés à la lutte anti-sous-marine, au soutien aérien mais aucunement au combat contre des navires lourds.
La surprise est totale d'abord du côté japonais. Kurita, à cause du manque de reconnaissance aérienne n'a pas été informée de la présence de portes-avions d'escorte. Il les identifie au début aux forces de la T.F. 38. Du côté étatsunien, c'est à 5 h30 que la reconnaissance repère la force nippone. Du fait des incompréhensions avec Halsey, la VIIème flotte pensait le détroit de San Bernadino sous bonne garde. Les forces étatsuniennes commandées par le contre-amiral Sprague vont décider de se lancer dans une attaque désespérée afin de protéger les forces de débarquement et de gagner du temps, espérant le retour de Halsey. Les destroyers et destroyers d'escorte lancent une attaque à la torpille et au canon contre les lourds navires japonais. 2 destroyers et 1 destroyer d'escorte sont détruits mais leur attaque perturbe l'ordre japonais tout en endommagent deux croiseurs lourds. Surtout la conduite de tir défaillante des japonais et les défauts dans les obus perforants limitent les dégâts occasionnés aux navires des E.U.A.
Malgré ce sacrifice, les navires japonais et s'en prennent aux portes-avions d'escorte. A nouveau les obus japonais perforent le faible blindage des navires mais sans exploser. Un seul porte-avion, le Gambier Bay est coulé. Un autre le Saint-Lô est envoyé par le fond par une attaque de Kamikazes. Dans les airs les appareils étatsuniens tentent de frapper les vaisseaux japonais mais rien ne semble arrêter leur marche en avant jusqu'à l'impensable.
A 9h 25, Kurita ordonne de cesser l'attaque contre les porte-avions d'escorte. Il expliquera plus tard qu'il redoutait des attaques aériennes et qu'il voulait remettre de l'ordre dans sa formation. Pendant deux heures ses navires hésitent partent vers le Nord puis vers le Sud. En réalité sans nouvelles d'Ozawa, Kurita est lui-aussi perdu dans le brouillard de guerre. Il pense également qu'il est trop tard pour frapper les forces de débarquement qui ont dû, pense-t-il, quitter les plages. Enfin les dégâts infligés par les navires d'escorte l'ont convaincu qu'il vient de frapper les portes-avions rapides étatsuniens et qu'il doit désormais chercher à détruire ces vaisseaux. Cette valse hésitation est mise à profit par les porte-avions d'escorte pour se replier et organiser la contre-attaque aérienne. Trois croiseurs lourds japonais vont être coulés. Puis à 13 heures ce sont les avions des portes-avions d'Halsey qui arrivent en fin et endommagent trois cuirassés ainsi que cinq bâtiment non identifiés. Quant aux cuirassés rapides, ils arrivent deux heures trop tard pour bloquer la retraite japonaise.
Les derniers combats de cette bataille hors normes mettent aux prise pendant l'après midi du 25 octobre les porte-avions d'escorte à des kamizake qui coulent le Saint Lô et en endommagent trois autres. Sur mer la flotte des E.U.A traque les traînards et les navires venant en aide aux rescapés : le croiseur léger Noshiro, les destroyers Nowaki, Kinu et Uranami sont envoyés par le fond le 26 octobre.
Au terme de ces quatre jours de lutte incessantes, la marine impériale a été brisée. Elle a perdu 26 navires : 4 porte-avions, 3 cuirassés, 10 croiseurs et 9 destroyers, 45 % du tonnage engagé . Ce bilan est encore plus lourd si l'on ajoute les deux croiseurs lourds et le cuirassé qui coulent dans les jours suivants à cause de leur dommage. Pour les Etatsunis, le bilan est très léger. 6 navires perdus : 1 porte-avions léger, 2 porte-avions d'escorte et 3 destroyers, 3 % du tonnage. La marine impériale ne sera plus une menace, ce sont désormais les kamikaze qui vont tenter d'enrayer l'avancée étatsunienne.
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