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La bataille du Golfe de Leyte 

Le piège était presque parfait (partie 1)

     Entre le 23 et le 26 octobre 1944, les marines étatusnienne et japonaise se rencontrent au large des Philippines. Leur affrontement va donner lieu à une bataille titanesque, démesurée et atypique. Les forces en présence dépassent tout ce qui a été engagé pendant la seconde guerre mondiale et même dans l’histoire navale en termes de puissances de feu, de tonnage. Le combat va aussi combiner 50 ans d’avancées militaires maritimes où les flottes aériennes se défient mais aussi les navires de ligne proposant même un face à face inattendu entre des cuirassés et des porte-avions. Cette bataille acharnée va définitivement éliminer la menace représentée par la marine impériale japonaise.


Objectif Philippines

   
    L’archipel des Philippines obsède un homme aux Etats-Unis : le général Mac Arthur commandant en chef des forces armées des Etats-Unis en Extrême Orient . Deux ans auparavant en effet, le 12 mars 1942 il dut quitter ces îles devant l’avancée des troupes japonaises. Battu, il a fait la promesse qu’il reviendrait libérer l’aile. Or face au déferlement des Japonais au printemps 1942, les forces étatsuniennes reculent et doivent mener à partir de l’automne 1943 une patiente reconquête.

    Or cet objectif philippin n’est pas partagé par tout l’Etat-Major. L’amiral Nimitz, commandant en chef de la flotte du Pacifique a d’autres objectifs. Sa priorité c’est l’étranglement naval du Japon et la destruction méthodique de sa flotte. Les Philippines ne sont pas forcément prioritaires. Ces deux visions ne causent cependant pas tout de suite de difficulté car au début de l’année 1943 les E.U.A sont encore loin dans le Pacifique Sud. Ils vont déclencher une reconquête selon deux axes : MacArthur se concentre sur la conquête de la Papouasie Nouvelle Guinée tandis que Nimitz déclenche la campagne des îles Salomon.

     En 1943, les progrès des forces étatsuniennes remettent sur la table la question de la prochaine cible. Malgré leurs divergences, les deux chefs s’entendent sur la nécessité de la conquête du Pacifique central ce qui aboutit à la prise des Mariannes et à la victoire navale de la Mer des Philippines. Ces îles sont à la fois une base pour foncer sur les Philippines mais aussi pour mener des bombardements sur le Japon. Reste qu’il faut désormais trancher définitivement la question de l’axe de la future offensive. Les deux parties ont des arguments forts. Mac Arthur insiste sur la nécessité de laver l’affront de 1942 et de conquérir cet archipel stratégique qui couperait le Japon de ses territoires indonésiens. L’U.S Navy penche plutôt pour une conquête de Taïwan ce qui permettrait d’organiser un blocus du Japon tout en isolant les forces nippones des Philippines et en s’épargnant une coûteuse conquête. C’est la Maison Blanche qui trancha en faveur de MacArthur. La flotte du Pacifique appuierait l’opération de débarquement

Les Japonais voient clair

    L’amirauté japonaise n’a que peu connaissance de ces débats agitant les Etats-Majors étatusiens. Dès le lendemain de la défaite en mer des Philippines, elle se prépare à contrer la prochaine offensive contre Taïwan, les Philippines ou les îles Ryukyu. La prise de l'archipel des Palaos confirme que la prochaine cible sera les Philippines. Et pour une des rares fois pendant cette guerre l'Etat Major a su voir presque juste dans les plans étatsuniens. La seule erreur concerne la date de l'assaut. Les Japonais l'évaluent au plus tôt au mois de novembre. Un décalage qui aura son information.

    Il reste encore à savoir quoi faire de cette information. En effet depuis la bataille de la Mer des Philippines, la flotte japonaise notamment les porte-avions est nettement surclassée par son homologue étatsunienne ; il en est de même en matière de cuirassées ou de lutte anti-sous-marine. Comme l'expriment les amiraux Kurita ou Ozawa, un engagement total de la marine japonaise ne peut se solder que par des pertes lourdes voire par la destruction totale des forces envoyées compte tenue de l'écart technologie, en nombre et en qualité. Or le Japon est contraint de défendre les Philippines.

Le Japon contraint d'accepter la bataille


    La situation stratégique des forces japonaises explique alors le casses-tête que doit résoudre l'Amirauté. Militairement elle a abandonné l'idée qu'une bataille décisive détruira pour de bon la flotte étatsunienne. Le Japon n'en a plus les moyens. Il manque de portes-avions, il manque de pilotes depuis l'hécatombe de la bataille de la Mer des Philippines et en former de nouveaux prend du temps. Or l'attaque étatsunienne surviendra beaucoup trop vite pour permettre  de compléter les équipages.


  


     
Géographiquement cette flotte est écartelée. Depuis la perte des bases de Rabaul et de Truk, les porte-avions sont basés au Japon, en Mer Intérieure, à l'abri pour le moment des attaques aériennes des E.U.A. En revanche à cause des attaque sous-marines et aériennes dans le Pacifique Sud qui ont décimé la flotte de tankers japonais, les croiseurs et cuirassés ont été regroupés près de Singapour à proximité des puits de pétrole indonésiens. Cet écartèlement imposé par les défaites de l'année 1943-1944 rend le contrôle des Philippines primordial. Si les E.U.A s'installent sur l'île, ils couperont définitivement l'empire japonais et sa flotte en deux entités. L'Amiral Toyoda doit donc mettre sur un pied un plan susceptible de rééquilibrer la balance des forces.

L'opération King Two


    Pour reconquérir les Philippines, les E.U.A mobilisent des moyens considérables organisés en deux flottes. Les forces de débarquement sont regroupés au sein de la VIIème flotte du vice-amiral Kinkaid. Celle-ci, « appelée la flotte de McArthur », rassemble le III ème corps amphibie, le groupe d'appui feu formé des cuirassées et de croiseurs du contre-amiral Oldendorf et le groupe d'appui aérien du contre-amiral Sprague composé de destroyers et de porte-avions d'escorte. La IIIè flotte de l'amiral Halsey est chargée de la protection aérienne globale des opérations. Il a sous la main les 16 porte-avions de la Task Force 38 de l'amiral Mitscher et la Task Force 34 de l'amiral Lee concentrant 6 cuirassées rapides de la classe Iowa, 2 croiseurs lourds et 6 croiseurs légers. Les E.U.A engagent donc 16 portes-avions rapides, 18 porte-avions d'escorte, 12 cuirassés, 23 croiseurs, 105 detroyers, 22 sous-marins soit 174 navires de surface protégés par 1 600 avions. 

Le plan E.U.A se compose de plusieurs phases. Début octobre, la IIIè flotte déclenche une séquence d'attaque aérienne contre les bases aérienne sde Formose, d'Okinawa dans le but de priver les Philppines de tout renfort aérien extérieur . Les Japonais répliquent en engageant près de 1000 appareils dont 800 furent abattus contre 100 avions du côté étatsunien. 2 croiseurs à la bannière étoilée furent aussi endommagés. La suprématie aérienne conquise autorise le déploiement de la flotte de débarquement à partir du 12 octobre dans le Golfe de Leyte. Les flottes d'appui (croiseurs et porte-avions d'escorte) entrent alors en action le 17 octobre martelant les forces japonaises et permettant le 19 octobre le débarquement des forces américaines. Le 20 le général Mac Acthur repose le pied aux Philippines comme il l'avait promis deux ans auparavant. Dans les airs les avions de la IIIè flotte continuent leur matraquage des aérodromes nippons, cette fois-ci aux Philippines. Les Japonais répliquent et malgré d'importantes pertes, endommagent 1 porte-avions d'escorte, deux croiseurs et frappent les têtes de pont des troupes débarquées ralentissant l'avancée vers l'intérieur des terres. A la veille du 24 octobre, 100 000 Américains ont pris pied aux Philippines. La mauvais temps et les attaques aériennes japonaises ont cependant ralenti la construction d'aérodromes. La protection aérienne repose donc encore entièrement sur les portes-avions. 

Contre l'opération Sho-Go


    Reconnaître la supériorité militaire des E.U.A ne signifie pas accepter la défaite. Si la flotte japonaise se sait incapable d'assurer la victoire, son haut commandement pense pouvoir encore infliger des pertes lourdes aux E.U.A. et ainsi les forcer à négocier une paix moins humiliante pour le Japon. C'est dans cet esprit qu'est pensé le plan Sho-Go.

    Elaboré après le désastre de la Mer des Philippines, c'est un plan risqué et iconoclaste. En effet le Japon décide de lancer toutes ses forces dans la bataille quitte à en perdre une grande partie. Il est original car la cible de ses forces n'est plus les forces de porte-avions mais la force amphibie et les troupes étatsuniennes débarquées. Très iconoclaste, l'amiral Toyoda impose ses vues à un corps d'officiers longtemps réticent. Se servant des leçons de la bataille de la Mer des Philippines, il cherche à compenser son infériorité aérienne en exploitant le caractère teigneux d'Halsey.  La flotte mobile  japonaise (porte-avions) est vidée d'une grande partie de ses avions envoyés aux Philippines. Elle servira d'appât en attirant la IIIè flotte de l' amiral Halsey loin au Nord. Ceci devrait ouvrir une « porte » à la force centrale ou force de diversion de l'Amiral Kurita et à la force du Sud de vice-amiral Nishimura qui tenteront de se glisser à travers les détroits de San Bernadino, de Surigao jusqu'à la flotte de débarquement. Cette manœuvre accomplie, les puissants cuirassés et croiseurs détruiront la flotte amphibie. 

L'amiral Toyoda


    Les Japonais renversent ainsi totalement l'ordre naval en cherchant une bataille à coups de canons et de torpilles et en sacrifiant leurs portes-avions. Or l'attaque précoce des E.U.A les oblige à précipiter leurs préparatifs. Ceci va avoir une conséquence sur la protection aérienne. En effet c'est aux pilotes basés aux Philippines que revient la mission d'assurer la protection des navires de surface et l'attaque contre les porte-avions américains, condition sine qua non au fonctionnement du piège. Le problème c'est qu'il y a deux types de pilotes aux Philippines. Ceux issus de l'aviation navale basée à terre et ceux issus de l'armée de terre, ces derniers ayant peu d'expériences du combat contre des navires. Ceci explique le « déshabillage » des porte-avions. Mais malgré les transferts, les attaques aériennes étatsuniennes ont été si violentes qu'elles ont grandement affaibli la force aérienne nippone. En conséquence les Japonais doivent renforcer la protection aérienne de leurs cuirassés et croiseurs lourds notamment déficientes depuis le début de la guerre. 

    Une autre faiblesse du plan est accentué par l'attaque rapide des E.U.A : la coordination. En effet la flotte japonaise n'est pas concentrée : une partie est au Japon (porte-avions d'Ozawa), une autre à Bruneï (forces de l'amiral Kurita), une autre partie dans les îles Pescadores  (Forces de Nishimura) près de Taïwan. Il faut donc arriver à faire attaquer dans le bon tempo ces forces distantes de plusieurs milliers de kilomètres tout en préservant le secret. C'est en urgence le 17 octobre, un mois avant la date prévue que les navires japonais appareillent. Ce secret explique aussi que la coordination avec les autres composantes du plan (les forces aériennes terrestres, l'armée de terre) est compliquée. Le général Yamashita n'est prévenu que 5 jours avant le déclenchement de l'attaque.

    Malgré ces difficultés le Japon relève le gant. Il envoie 4 porte-avions, 2 porte-avions hybrides, 7 cuirassés, 19 croiseurs, 30 destroyers, 17 sous-marins aux Philippines, 62 navires regroupés en 3 flottes et protégés par 1 500 avions. Cette disproportion en nombre et en qualité annonce un carnage à venir. Or les Japonais vont être à deux doigts de réussir le coup.. 

A suivre partie 2 et partie 3

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