A redécouvrir

Shadow de Zhang Yimou

L'ombre du guerrier

Covid oblige c'est avec retard que l'Occident a pu découvrir en vidéo le dernier long métrage de Zhang Yimou, un des grands réalisateurs chinois. Sa carrière nous a offert des films aux tons très différents : drame féministe dans épouses et concubines, fresque sociale à travers Vivre, drame historique dans Flowers of war, film de sabre dans Hero, intrigue politique dans la cité interdite et dernièrement grosse production hollywoodienne avec la Grande Muraille. Avec Shadow il revient à ses thèmes fétiches dans une fresque historique complexe où s'entrechoquent jeux politiques, duels, trahison, théâtre d'ombre et aspiration à la liberté.


La ville Jingzhou suscite les convoitises des royaumes voisins. Celui de Pei et de Yang se sont affrontés pour son contrôle jusqu'au jour où le commandant de Yang a gravement blessé en duel le commandement de Pei, Ziyu. Depuis les deux royaumes sont en paix, le roi de Pei tenant plus que tout à cette harmonie. Mais Ziyu n'est pas de cet avis et provoque à nouveau en duel le général adverse. Le roi est furieux mais ce qu'il ne sait pas c'est que ce n'est pas Ziyu qui ira combattre mais son sosie, Jingzhou, élevé en secret, à ses côtés depuis son plus jeune âge (cela rappelle Kagemusha de Kurosawa). Jingzhou, un enfant des rues a été repéré par la famille de Ziyu et entraîné (dressé) avec la plus extrême rigueur. Personne hormis la femme de Ziyu ne connaît la vérité. Ce qui sert les intérêts Ziyu qui malgré ses blessures organise un plan machiavélique pour reconquérir la ville et sa place auprès du souverain. Mais rien n'est simple et à la cour du roi Pei d'autres forces entrent en mouvement.

Shadow surprend et plaît pour son originalité narrative. Loin des standards des grosses productions actuelles, le film prend son temps. Pendant toute la première heure, nous retrouvons ce qui fait le charme des films historiques asiatiques. Une narration lente, un théâtre filmé où la caméra se plait à nous perdre dans les méandres des couloirs des palais. Une narration dont le faible rythme ne signifie pas ennui car l'intrigue est riche, les acteurs épatants, la métaphore du pouvoir saisissante. Zhang Yimou nous plonge au coeur des jeux de pouvoir, jeu de dupe, jeu d'ombre que souligne une mise en scène brillante. En effet les décors fourmillent de paravents, d'ombrelles, de voiles, illustrations des trahisons qui s'y tapissent. Avec un sens quasi pictural, Zhang Yimou construit des scènes à la beauté hypnotique : grande salle du trône entourée de teintures, couloir aux panneaux transparents, présence constante de musiciens et de marionnettes dont les ombres viennent se mêler aux réelles et s'y confondre. Beauté aussi des décors extérieurs : une gorge aux falaises oppressantes sous une pluie battante. 

Zhang Yimou  maîtrise en plus à merveille le rythme. Si tout baigne dans une mélancolie, une fausse harmonie, il sait distiller des moments de tension : la découverte du corps lacéré de l'ombre (pour ressembler à son modèle), les entraînements pour arriver à rivaliser avec le général ennemi, le jeu trouble de la soeur du roi et en arrière-plan la ville de Jingzhou, que l'on ne verra que très peu mais dont le symbole est fort. Enjeu dérisoire qui ne sert qu'à faire monter la tension avant l'inévitable explosion finale. Ville, soldats, généraux sont enserrés entre ces falaises, écrasés par une pluie battante dont la fin doit annoncer la reprise de la guerre comme une libération de la fureur accumulée.

C'est dans la seconde partie du film que Zhang Yimou rappelle qu'il excelle dans les films de sabre. Les scènes de combat sont admirablement chorégraphiées, gracieuses et originales. Car il a décidé d'apporter une touche de féminité à ces moments de férocité. Alors que le général Yang contrôle le yang, le feu, le principe masculin, son adversaire décide d'utiliser le Yin, la pluie, le principe féminin. De cette opposition, Zhang Yimou en tire des idées de combats où la hallebarde s'oppose à des parapluies faits de métal et de lames. 

Toute cette maestria sert enfin un propos profond sorte de synthèse des thèmes fétiches du réalisateur. C'est d'abord un film sur l'identité : celle de l'ombre, celle de la fausse-épouse, celle du général. Identité qui entre en résonance avec la liberté : fuir et tout perdre ou  continuer à se travestir et conserver sa place. C'est aussi un film sur les femmes dont le sort repose sur les choix des hommes : femmes du peuple ou princesse, leur vie chemine sur une voie étroite. Pour elles le travestissement permanent est la seule voie de salut. C'est enfin un film sur le pouvoir, la figure du bon dirigeant.

Shadow marque le retour réussit de Zhang Yimou à un cinéma plus classique, intimiste, créatif et dense. Un film purement chinois qui ne plaira peut être pas à tout le monde mais qui a une âme

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