Publié par
herve
le
architecture
christian Volckman
Duval
Jour J
Néo Paris
Paris
Pecau
Remember Me
Renaissance
- Obtenir le lien
- X
- Autres applications
Depuis le succès mondial de Your
Name en 2016, chaque long métrage de Makoto Shinkai est attendu avec
impatience. Avec Suzume sorti cette
année, il clôt un triptyque initié avec Your
Name, poursuivi avec Les Enfants du
temps et centré sur les traumatismes japonais, la violence de la Nature et
la force de l’amour. Avec toute la poésie qu’on lui connaît, Makoto Shinkai
livre un film magnifique, dense, plus complexe que Your Name, rempli de références à l’histoire et à la spiritualité
japonaise.
Suzume a dix-sept ans. Elle vit à Kyushu chez sa tante qui l’élève
depuis la mort de sa mère. Un jour, alors qu’elle se rend au lycée, elle
croisse un jeune homme, un voyageur qui dit rechercher un porte au milieu de
ruines. Elle lui indique le chemin des montagnes où se dressent les vestiges d’une
ancienne cité. Intriguée, elle décide de le suivre et tombe sur une porte au
centre d’un ancien dôme en partie détruit.
Cédant à sa curiosité,
elle l’ouvre et entre dans un autre monde. Sans le savoir, elle vient de libérer
le ver qui jusqu’alors était contenu au-delà de cette porte. D’autres passages
s’ouvrent un peu partout au Japon laissant de terribles catastrophes naturelles
se répandre. Avec l’aide du voyageur, Suzume va partir refermer au plus vite
ces portails avant qu’il ne soit trop tard et en apprendre plus sur ce terrible
fléau.
La poésie de Makoto Shinkai transparait dans ce nouveau long
métrage. Son histoire lui permet en effet de nous mener du Sud au Nord du Japon
à la découverte des beautés et de la diversité de cet archipel. Avec
ravissement, le spectateur part des petites villes portuaires du Sud, travers les
paysages de la Mer Intérieure encore sauvages, naturels pour découvrir la force
de l’urbanisme japonais - la modernité de Kobé, le gigantisme de Tokyo -
sans oublier la magie de la campagne japonaise qui s’étend entre les métropoles.
Dans ce voyage, Makoto Shinkai livre aussi une ode à la Mer, consubstantielle à
l’âme japonaise et au temps qui a façonné ce Japon et qui est illustré par la
fascination exercée par les ghost cities.
Ce voyage est aussi éminemment spirituel. Des trois films du
triptyque, Suzume est celui qui
explore le plus la mythologie japonaise. Un peu à l’image du Voyage de Chihiro de Miyazaki, Suzume évoque les contes fantastiques
nippons à commencer par la symbolique du ver. Celle-ci rappelle, en effet, le
mythe du poisson-chat Namazu qui serait d’après la légende la cause des séismes.
Les kamis (Daijin, Sadaijin dans le film) sont à la fois une référence à
Kamisha, le dieu qui contrôle Namazu et à des fonctionnaires impériaux. De même
les portes (Torii), les ruines, les esprits nourrissent ce récit de symboles
forts qui trouvent leurs origines dans le passé animiste, bouddhiste et shintoïste
du pays.
La force de Suzume,
c’est que ce propos complexe est rendu parfaitement clair par la tonalité du
film. Il se construit comme un road
movie drôle, une fugue, une quête menée par une jeune lycéenne qui
cherche qui elle est. Cette aventure la conduit à rencontre des Japonais et
Japonaises très divers : la tenancière d’un bar à hôtesse, les
propriétaires d’un restaurant, une mère célibataire élevant seule ses deux
enfants, un étudiant au cœur de Tokyo, une personne âgée en fin de vie. Avec
humour, Suzume traite aussi des réseaux sociaux, des téléphones portables, devenus
indispensables à la vie des Japonais. Mais ici, il détourne le discours
habituel sur ces pratiques pour en retenir le positif : ce qui relie les
gens, les aide à se retrouver.
Dans ce road movie, les ghost cities prennent un sens
particulier. Elles sont l’occasion de parler d’un Japon qui a disparu, celui de
la croissance folle, des parcs d’attraction qui poussèrent aux quatre coins de
l’île, des anciennes villes minières, des cités ravagées par les catastrophes
naturelles. Des ruines aux pieds desquelles la vie n’a pas cessé mais a migré
vers de nouveaux territoires. C’est aussi cela que veut nous montrer Suzume, ce
Japon qui se relève, reconstruit mais n’oublie pas son passé.
Mais ce long métrage, comme Your Name ou Les Enfants du
temps est empli de tristesse. En effet, tout le voyage que mène Suzume la
conduit sur les traces des catastrophes qui ont frappé l’île. Le passage par Kobé rappelle en effet
le séisme de 1995. La séquence à Tokyo évoque le terrible tremblement de terre
du Kanto de 1923. Quant au final, il nous replonge dans les terribles images du
11 mars 2011. Il y en plus de nombreuses autres références à des glissements de
terrains, effondrements, les inondations qui ont marqué et marquent l’histoire
de l’île. Mais Makoto Shinkai ne veut pas se limiter à cette vision pessimiste.
Le parcours de Suzume devient alors une métaphore de la
gestion du deuil et du traumatisme. Fermer la porte revient à avancer, à ne pas
se laisser abattre. La persistance des ruines permet de ne pas oublier, de se
rappeler que rien au Japon n’est éternel. Ce qui donne un autre sens à la quête
de Suzume : vivre l’instant présent, ne pas hésiter à agir car demain tout
peut s’arrêter. De même, le passage dans le tunnel de Tokyo (qui s’inspire de
l’immense rivière artificielle construite sous la ville pour évacuer l’eau en
cas d’inondations majeures) qui se dresse face à un antique portail, montre
qu’il n’y pas de fatalité (le présent apprend du passé) et que la réponse aux
drames est autant spirituels que technologiques.
Suzume est un très
grand film d’animation, magnifique, poétique, intelligent. Makoto Shinkai prouve
film après film qu’il fait partie des grands réalisateurs nippons et que Your Name n’était que le début de son
ascension.
Commentaires
Enregistrer un commentaire