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Critique de Suzume de Makoto Shinkai

 Le Japon face à ses peurs

Depuis le succès mondial de Your Name en 2016, chaque long métrage de Makoto Shinkai est attendu avec impatience. Avec Suzume sorti cette année, il clôt un triptyque initié avec Your Name, poursuivi avec Les Enfants du temps et centré sur les traumatismes japonais, la violence de la Nature et la force de l’amour. Avec toute la poésie qu’on lui connaît, Makoto Shinkai livre un film magnifique, dense, plus complexe que Your Name, rempli de références à l’histoire et à la spiritualité japonaise.

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La porte des étoiles

Suzume a dix-sept ans. Elle vit à Kyushu chez sa tante qui l’élève depuis la mort de sa mère. Un jour, alors qu’elle se rend au lycée, elle croisse un jeune homme, un voyageur qui dit rechercher un porte au milieu de ruines. Elle lui indique le chemin des montagnes où se dressent les vestiges d’une ancienne cité. Intriguée, elle décide de le suivre et tombe sur une porte au centre d’un ancien dôme en partie détruit.

Cédant  à sa curiosité, elle l’ouvre et entre dans un autre monde. Sans le savoir, elle vient de libérer le ver qui jusqu’alors était contenu au-delà de cette porte. D’autres passages s’ouvrent un peu partout au Japon laissant de terribles catastrophes naturelles se répandre. Avec l’aide du voyageur, Suzume va partir refermer au plus vite ces portails avant qu’il ne soit trop tard et en apprendre plus sur ce terrible fléau.

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Suzume : un merveilleux voyage fantastique

La poésie de Makoto Shinkai transparait dans ce nouveau long métrage. Son histoire lui permet en effet de nous mener du Sud au Nord du Japon à la découverte des beautés et de la diversité de cet archipel. Avec ravissement, le spectateur part des petites villes portuaires du Sud, travers les paysages de la Mer Intérieure encore sauvages, naturels pour découvrir la force de l’urbanisme japonais - la modernité de Kobé, le gigantisme de Tokyo - sans oublier la magie de la campagne japonaise qui s’étend entre les métropoles. Dans ce voyage, Makoto Shinkai livre aussi une ode à la Mer, consubstantielle à l’âme japonaise et au temps qui a façonné ce Japon et qui est illustré par la fascination exercée par les ghost cities.

Ce voyage est aussi éminemment spirituel. Des trois films du triptyque, Suzume est celui qui explore le plus la mythologie japonaise. Un peu à l’image du Voyage de Chihiro de Miyazaki, Suzume évoque les contes fantastiques nippons à commencer par la symbolique du ver. Celle-ci rappelle, en effet, le mythe du poisson-chat Namazu qui serait d’après la légende la cause des séismes. Les kamis (Daijin, Sadaijin dans le film) sont à la fois une référence à Kamisha, le dieu qui contrôle Namazu et à des fonctionnaires impériaux. De même les portes (Torii), les ruines, les esprits nourrissent ce récit de symboles forts qui trouvent leurs origines dans le passé animiste, bouddhiste et shintoïste du pays.

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Un road movie dans le Japon moderne

La force de Suzume, c’est que ce propos complexe est rendu parfaitement clair par la tonalité du film. Il se construit comme un road  movie drôle, une fugue, une quête menée par une jeune lycéenne qui cherche qui elle est. Cette aventure la conduit à rencontre des Japonais et Japonaises très divers : la tenancière d’un bar à hôtesse, les propriétaires d’un restaurant, une mère célibataire élevant seule ses deux enfants, un étudiant au cœur de Tokyo, une personne âgée en fin de vie. Avec humour, Suzume traite aussi des réseaux sociaux, des téléphones portables, devenus indispensables à la vie des Japonais. Mais ici, il détourne le discours habituel sur ces pratiques pour en retenir le positif : ce qui relie les gens, les aide à se retrouver.

Dans ce road movie, les ghost cities prennent un sens particulier. Elles sont l’occasion de parler d’un Japon qui a disparu, celui de la croissance folle, des parcs d’attraction qui poussèrent aux quatre coins de l’île, des anciennes villes minières, des cités ravagées par les catastrophes naturelles. Des ruines aux pieds desquelles la vie n’a pas cessé mais a migré vers de nouveaux territoires. C’est aussi cela que veut nous montrer Suzume, ce Japon qui se relève, reconstruit mais n’oublie pas son passé.

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Suzume : le Japon face à ses traumatismes

Mais ce long métrage, comme Your Name ou Les Enfants du temps est empli de tristesse. En effet, tout le voyage que mène Suzume la conduit sur les traces des catastrophes qui ont frappé  l’île. Le passage par Kobé rappelle en effet le séisme de 1995. La séquence à Tokyo évoque le terrible tremblement de terre du Kanto de 1923. Quant au final, il nous replonge dans les terribles images du 11 mars 2011. Il y en plus de nombreuses autres références à des glissements de terrains, effondrements, les inondations qui ont marqué et marquent l’histoire de l’île. Mais Makoto Shinkai ne veut pas se limiter à cette vision pessimiste.

Le parcours de Suzume devient alors une métaphore de la gestion du deuil et du traumatisme. Fermer la porte revient à avancer, à ne pas se laisser abattre. La persistance des ruines permet de ne pas oublier, de se rappeler que rien au Japon n’est éternel. Ce qui donne un autre sens à la quête de Suzume : vivre l’instant présent, ne pas hésiter à agir car demain tout peut s’arrêter. De même, le passage dans le tunnel de Tokyo (qui s’inspire de l’immense rivière artificielle construite sous la ville pour évacuer l’eau en cas d’inondations majeures) qui se dresse face à un antique portail, montre qu’il n’y pas de fatalité (le présent apprend du passé) et que la réponse aux drames est autant spirituels que technologiques.

Suzume est un très grand film d’animation, magnifique, poétique, intelligent. Makoto Shinkai prouve film après film qu’il fait partie des grands réalisateurs nippons et que Your Name n’était que le début de son ascension.

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