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En choisissant d’adapter le roman Sacred Games ou Le seigneur de Bombay, Netflix s’inscrit dans sa stratégie d’ouverture à des nouveaux publics. L’oeuvre est un monument en Inde. Roman policier publié en 2006 de près de 1000 pages, elle a été saluée par la critique du monde entier. Face à la densité du matériau, la plateforme étatsunienne a commandé deux saisons de 8 épisodes. La première fut une excellent surprise tant par sa fidélité que son intelligence et sa très haute tenue technique. Hautes étaient les attentes pour cette seconde saison qui se révèle elle aussi exemplaire.
Pour le résumé et la critique de la saison 1, suivre ce lien.
Quand les planètes s’alignent, le résultat est impressionnant. Avec cette série, Netflix a mis les petits plats dans les grands. La réalisation demeure toujours très soignée mélangeant à la fois des codes occidentales et un style indien. La photographie par exemple a fait l’objet d’une attention toute particulière. La couleur, la lumière accompagnent une enquête qui ne cesse de naviguer entre l’ombre et la lumière. Elles bonifient un scénario riche en symboles. Elles suivent le cheminement initiatique des personnages principaux qui comme Alice passe de l’autre du miroir en naviguant des jardins de méditation des ashram aux ruelles crasses de Mumbai. Les épisodes arrivent ainsi à faire ressortir la dimension spirituelle, irrationnelle de l’histoire : la force du lien familial, l’inné face à l’acquis.
La série maintient un très haut niveau d’écriture en menant de front trois histoires : une course contre la montre pour arrêter une machination infernale, deux quêtes personnelles (celle du policier et celle du parrain de la pègre) et une immersion au sein des maux de l’Inde contemporaine. Il faut à nouveau saluer l’excellence de la construction d’ensemble qui nous pose dans les premiers épisodes des éléments qui prennent tout leur sens en fin d’histoire, rendant crédibles l’itinéraire des personnages et les retournements de situation.
Sacred Games s’appuie sur la qualité du casting. Il y a d’abord les deux personnages principaux -le parrain et le mafieux qui sont prodigieux de charisme chacun dans leur style. D’un côté le policier, personnage très physique mais marqué par des traumatismes forts. L’acteur fait naître une fragilité le rendant éminemment attachant. De l’autre le mafieux, physiquement beaucoup plus léger mais implacable et pourtant terriblement sensible. Un double visage parfaitement mis en en scène.
Il est nécessaire aussi de saluer tous les seconds rôles. Que ce soit l’impressionnant Guruji, l’inflexible Shahid Khan ou le mystérieux Trivedi, le père de Sartaj, ils permettent à toutes les trames narratives de garder leur cohérence. Tous sont doués et très bien dirigés ce qui permet à cette saison de ne jamais perdre son rythme.
Cette seconde saison réserve son lot de surprises en se focalisant sur la religion, sur son poids important à la fois dans l’histoire ancienne mais présente de l’Inde. Sans dévoiler des éléments importants de l’intrigue, la série interroge sur l’impact des religieux, sur l’influence des croyances sur l’âme des individus y compris sur celles d’hommes politiques et d’hommes d’affaire. Elle met aussi en scène la place très forte du religieux dans la société indienne, place tellement prégnante qu’elle façonne l’inconscient collectif. En évitant les clichés, les épisodes explorent les dimensions et les échelles de cette pénétration. Ce faisant, le discours tenu par la série est sans concession et polysémique. Il est à la fois fascinant par ce qu’il montre, déstabilisant par ce qu’il dit, et terrifiant par ce ce qu’il sous-entend.
Avec cette dimension spirituelle, la seconde saison arrive à clore toutes les intrigues, à nous offrir un final haletant digne des meilleures saisons de 24 heures chrono. Elle nous laisse aussi dans un état de malaise car son propos est universel : aucune folie n’est plus destructrice que celle qui ne pare du nom de Dieu.
Cette saison approfondit enfin le discours sur l’Inde. La série est terriblement clairvoyante d’une part parce qu’elle annonce avant l’heure les terribles événements qui ont secoué Mumbai en 2008. D’autre part, elle pointe du doigt, 10 ans en avance, la montée du nationalisme hindouiste et les liens dangereux entre la politique et la religion. Le livre ne prenait pas de gants pour dénoncer les intégristes de tout bord et il est heureux de voir la série ne pas édulcorer cette thématique forte. Enfin, la série parvient enfin à faire passer un autre message du livre : les liens entre Inde et Pakistan et l’absurdité d’une division qui a divisé des familles.
Avec Sacred Games Netflix a réalisé une série brillante. Transposant un très grand roman, cette adaptation en conserve la densité, l’ampleur, le dynamisme et y ajoute une dimension contemporaine saisissante.
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