A redécouvrir

opération tempête d'août :

 Staline tient ses promesses, la guerre froide s'installe en Asie




Dans l'évocation de la seconde guerre mondiale, les opérations menées par l'armée rouge en Extrême Orient sont longtemps passées inaperçues en Occident. Pourtant par leur ampleur et leurs répercussions, elles ont modifié profondément la situation de l'Asie jusqu'à aujourd'hui. L'opération tempête d'août, outre l'éclatante démonstration de force réalisée par l'Armée rouge, démontre aussi tout le sens tactique Staline qui à peine le nazisme vaincu se projette déjà dans la guerre froide. 


L'opération tempête d'août est par son ampleur unique en Asie. Promise par Staline aux Américains , elle devait être déclenchée 3 mois après la chute du régime nazisme. Pour tenir ses délais, les soviétiques organisent un immense redéploiement de leurs forces depuis l'Europe jusqu'à l'extrême Orient. Débutée le 9 août, l'offensive prendra fin officiellement le 20 août après la capitulation des troupes japonaises mais des combats sporadiques dureront jusqu'au 2 septembre date de la reddition du Japon. Les Russes attaquent sur une superficie équivalente à l'Europe Occidentale. Ils montent une opération ambitieuse en deux phases : une triple offensive terrestre au Nord, Est et Sud de la Mandchourie et des débarquements successifs sur la côte orientale de la Corée et sur les îles Sakhaline et des Kouriles.  Un succès dont la rapidité obligera les Etats-Unis à revoir leur plan en Asie notamment en Corée. 


Objectifs


L'attaque n'est pas une surprise pour les Japonais qui attendent une attaque russe. Simplement ils ne pensent pas qu'elle aura lieu avant la fin août (l'URSS devant se remettre de la longue guerre contre le nazisme), envisagent une attaque unique par l'Est alors que l'attaque viendra de 3 directions et ont largement sous évalué les forces soviétiques. Le front sibérien est relativement calme depuis 1939 et la tentative manquée d'invasion de la Sibérie et de la Mongolie par l'armée du Kwangtung stoppée net par sa défaite de Kalkin Gol. En 1941 les deux puissances ont signé un traité de non-agression.  Est-ce l'amour parfait, non ? Le Japon multiplie les provocations frontalières et ses sous-marins coulent quelques navires russes chargés de ravitaillement en provenance des Etats Unis. Cependant, c'est  l'URSS et non le Japon qui rompt le traité. Staline charge Molotov son ministre des affaires étrangères  d'informer la vieille de l'attaque l'ambassadeur japonais à Moscou Naotake Sato de la rupture diplomatique et de l'état de guerre entre les deux nations. Les apparences sont sauves !! 


Pour Staline l'invasion est d'abord la conséquence d'une promesse faite à Yalta au président Roosevelt d'entrer en guerre contre le Japon trois mois après la défaite de l'Allemagne. Il peut sembler surprenant qu'il ait tenu une telle promesse. Mais n'oublions pas qu'il a passé les années 1942 à 1944 à réclamer d'urgence aux Anglo-Saxons le débarquement en France et l'ouverture du second front. Pour le Vojd, tenir sa promesse avait une valeur toute symbolique : montrer aux anglo-saxons qu'il était capable de tenir les délais. Un autre argument peut expliquer le respect exact des délais. L'URSS en 1945 minore volontairement l'ampleur des pertes subies contre Hitler : reconnait 20 millions de morts alors qu'en réalité le chiffre avoisine les 25-26 millions. Dans un climat de tensions entre les deux blocs, il est impératif pour Staline de montrer la force de l'URSS et de cacher la grande faiblesse de son pays suite aux  ravages des hordes nazies. 

Pour le petit père des peuples, les buts sont aussi stratégiques. Il s'agit d'une part de prendre position dans cette Asie post-occupation japonaise. L'offensive a les mêmes buts que l'offensive Bagration de 1944 : saisir des gages avant le grand partage. Ceux-ci sont d'établir une présence communiste dans le Nord de la Chine pour aider le mouvement de Mao qui pourra profiter du soutien inconditionnel de Moscou et de la base arrière de la Sibérie. L'objectif est aussi de reprendre ce que la Russie a perdu en 1904-1905 lors de la guerre contre le Japon : Port-Arthur, le Sud de Sakhaline et les Kouriles. Notons que la base de Port-Arthur revêt une importance cruciale pour une marine russe toujours ne quête de ports en eaux libres. Un autre objectif se dessine aussi en Corée : profiter de l'existence d'une résistance communiste pour faire basculer toute la péninsule dans le camps de l'URSS.

Méthode


En terme de moyens, l'URSS déploie une force considérable : 1 500 000 hommes, 26 000 canons, 5 500 chars, 5 000 avions appuyés par des forces mongoles (20 000 à 80 000 hommes, 200 canons, 60 chars et 200 avions) et les forces communistes chinoises. En face l'armée japonaise du Kwantung aligne 1 200 000 hommes, 6 700 canons, 1 000 chars, 1 800 avions ainsi que 210 000 de ses alliés chinois et mongols. Ces chiffres cachent une disproportion de forces encore plus grande. L'avantage soviétique est en effet beaucoup plus important car le matériel japonaise est moins moderne, les chars sont légers, les avions anciens. En terme de troupes le constat est aussi mauvais pour les Japonais. L'armée du Kwantung a perdu ses meilleurs soldats envoyés dans le Pacifique. Ce sont essentiellement de jeunes recrues qui forment ses rangs. Même constat pour l'aviation. Il ne faut pas oublier que cette armée a surtout lutté contre la guérilla communiste d'où un armement léger et qu'elle n'a pas du tout l'entraînement et la qualité de son homologue qui en quatre années a appris et vaincu la meilleure armée du moment et ses redoutables panzerdivisionen. Il reste une inconnue : la résistance des Japonais. Car si en 1939 Joukov a infligé à Kalgin Gol une sévère défaite aux Japonais (25 000 hommes hors de combat), les Russe ont eu 8 000 tués et 15 000 blessés. Des pertes lourdes quand on sait que l'armée rouge avait un total avantage en blindés face aux simples divisions d'infanterie japonaises.


L'offensive soviétique est conduite par Vassilievski, un spécialiste des blindés qui a appris contre les Allemands toutes les subtilités de la guerre de mouvement. Elle mène deux grandes offensives, une en Mandchourie et une série de débarquements amphibies en Corée, Sakhaline et dans les Kouriles. 

L'opération de Mandchourie est une illustration parfaite des opérations en profondeur, l'art opératif, inventé par les Fusses et les Français dans les années 1920, redécouvert en 1942 et magistralement appliqué à partir de 1943 sur le front de l'Est. La tactique russe ressemble dans sa première phase à la blitzkrieg allemande. Un bombardement d'artillerie violent et court accompagné de raids aériens massifs sur les première lignes et sur l'arrière doivent désorganiser la ligne de front. La percée est obtenue par une combinaison de troupes au sol et de blindés de soutien qui doivent rompre la défense. Pour réussir cette ouverture, le plan définit des schwerpunkts, points de gravité là où le dispositif adverse semble le plus fragile. C'est sur point précis qu'est appliquée la pression maximale en engageant le maximum de troupes. Souvent dans ces zones de rupture la supériorité numérique est énorme : jusqu'à 10 contre 1 pour les hommes et les blindés. 

Il faut ensuite obtenir une déchirure profonde de plusieurs dizaines de kilomètres avant d'introduire dans la brèche les blindés groupés en armées de tanks. A eux d'agrandir la brèche et de rompre, sectionner définitivement le dispositif adverse l'obligeant à retraiter avec ses unité séparées. Ces opérations dites dans la profondeur nécessitent le contrôle de trois paramètres : le secret entourant la localisation des centres de gravité, le bon timing pour introduire les blindés et une logistique permettant d'approvisionner et d'accompagner les divisions blindées dans leur chevauchée. En Mandchourie, l'armée rouge va lancer une opération modèle dans sa conception et sa réalisation, très proche dans son déroulement du modèle théorique. Il s'agit de trois offensives dans la profondeurs qui visent à désorganiser, tronçonner le dispositif japonais. Staline a fixé quatre  objectifs : les villes de Shenyang, Harbin, Changchun et Tsitsihar. L'opération présente tout de même deux nouveautés par rapport à celles menées en Europe de l'Est. Le parachutage de troupes sur les arrières pour se saisir des carrefours névralgiques, la recherche d'encerclements géants au bout de la fantastique percée prévue. Il est vital pour Staline en effet de non seulement conquérir la Mandchourie (objectif 1)  mais d'y encercler un maximum des forces japonaises pour éviter leur reflux en Corée (objectif 2) où elles pourraient plus facilement grâce au fleuve Yalu et aux reliefs montagneux s'opposer à la descente de l'armée rouge. Ces deux objectifs expliquent la répartition des 3 forces d'attaque  :
  • la force occidentale (front TransBaikal) aligne 650 000 hommes, 2 400 chars et 1300 avions
  • la force du Nord (1er front d'Extrême Orient)  est fort de 580 000 hommes, 1 800 chars et 1100 avions
  • le front orientale (2è front d'Extrême Orient) regroupe  330 000 hommes, 1200 chars et 1200 avions.
Les Russes vont donc complètement surprendre les Japonais en donnant la priorité au front occidental et non à l'Oriental alors qu'il a le plus de kilomètres à parcourir pour atteindre les objectifs de Shenyang et Harbin. En effet les Japonais n'imaginent pas les progrès en mécanisation de l'armée rouge qui de ce fait est moins dépendante du chemin de fer que son homologue nippone. Ainsi les officiers japonais se focalisent sur leur aile droite alors que c'est à gauche que s'exerce la principale poussée adverse. Alors que que le front Nord fixe les Japonais les deux ailes les enveloppent. Toute la maestria acquise face aux nazis donne à plein. Ensuite une fois la victoire acquise, les opérations amphibies pourront être lancées sur la côté coréenne et sur les îles au Nord du Japon.

Capture de Port-Arthur

En 10 jours, les armées soviétiques percent sur 400 kms et réussissent tous les débarquements. Pour la perte de 8 000 tués et 16 000 blessés, ils ont infligé aux japonais des dégâts énormes (80 000 tués et près de 600 000 prisonniers). Seule la conquête des Kouriles a été plus compliquée en terme de pertes : 1567 tués ou blessés pour les russes contre 1 018 tués ou blessés pour les Japonais (et 50 422 prisonniers après l'ordre de capitulation). L'effondrement japonais illustre l'état de délitement de l'armée du Guangdong et l'impact des deux chocs qui foudroient en quelques jours le Japon (les bombardements atomiques et l'invasion russe). L

La rapide capitulation explique le grand nombre de prisonniers qui n'ont pas ou à de rares cas reçus (dans la défense des villes) l'ordre de leurs officiers de résister jusqu'à la mort. L'opération menée dans les plaines et steppes foudroient des divisions japonaises sous équipées en blindés et en armes anti-chars. Les troupes de l'empereur n'ont pu opposer que leur courage et leur ténacité. Mais les Russes ont retenu la leçon de 1939. Au lieu de chercher à réduire les poches de résistance, ils les contournent. Pris dans la nasse de ces chaudrons, les soldats japonais étaient condamnés à reddition ou à la destruction lors de retraite catastrophique sous les bombardements soviétiques. Mais l'annonce impérial du 15 août empêche toute résistance suicidaire. Si quelques officiers japonais tardent par fanatisme à transmettre l'ordre, le gros des forces se rend aux soviétiques.

L'impact

Plus que les bombes atomiques, c'est cette invasion qui a accéléré la prise de décision de l'empereur de capituler. En effet jusqu'au 9 août, il existait une infime possibilité de l'URSS intervienne dans le cadre d'une paix séparée. Le 15 août l'empereur admet que les forces japonaises sont incapables de mener une lutte contre les eux super-puissances.


Pu Yi capturé et transferé
Les conséquences sont d'abord visibles en Chine. Les gouvernements collaborationnistes du Mandchoukouo et du Mengjiang disparaissent. L'empereur Pu Yi est capturé par les Russes. Tout le Nord de la Chine tombe sous l'influence communiste. 


Les soldats japonais livrent d'importants stocks d'armes aux Russes et à leurs alliés les troupes de Mao. La situation est telle que Tchang Kai Chek intervient pour que les Japonais continuent la lutte au Nord jusqu'à l'arrivée de ses troupes et il insiste pour ce soit elles qui reçoivent lé reddition japonaise. En pure perte, Mao se saisit d'équipements en masse et aussi de soldats japonais qui vont instruire voire rejoindre ses rangs. En Mandchourie les Russes font place nette. Arrestation des collaborationnistes chinois, déportation de civils japonais. Ils vont aussi piller toute l'infrastructure industrielle malgré les protestations de Mao. Pour les prisonniers, c'est la déportation en Sibérie dans des conditions terribles. Seuls 90 000 en reviendront 4 ans plus tard !!! une hécatombe symbolique de l'enfer des goulags staliniens.


En Corée les objectifs sont à moitié atteints. Port-Arthur est conquise mais la Corée échappe au contrôle des Russes. En effet les troupes américaines débarquent en urgence à Inchon bloquant toute pénétration vers le Sud des troupes soviétiques. La partition de la Corée est déjà en marche. Dans le Pacifique, les Russes récupèrent les îles tant convoitées. Les populations sont déportées et s'ouvre une longue période de tensions autour du contrôle des eaux et de leurs richesses. 

Au final l'opération est un succès considérable pour Staline et pour l'Asie le début de 50 ans de drames. Staline prend position dans une zone où l'URSS avait perdu toute influence depuis 50 ans. La guerre froide vient de s'installer durablement et elle débutera dès 1946 par la reprise de la guerre civile chinoise. On peut même dire qu'avec cette opération Mao reçoit un coup de pouce décisif. Il s'installe durablement dans le Nord et en fera le point de départ de sa reconquête. En Corée, la guerre de libération se transforme en guerre civile dès 1946 et dégénère en conflit international en 1950.  Pour les Etats-Unis, l'opération est une mauvaise surprise et aurait pu encore être pire sans la prise de décision de l'empereur. N'oublions pas que ce dernier échappe à un coup d'état des officiers extrémistes qui s'il avait réussi, aurait rallongé la guerre. Quelques jours, quelques semaines auraient suffi pour voir les troupes russes prendre pied au Japon et voir en Asie se reproduire un scénario à l'Allemande. A ce titre le débarquement américain d'Incheon en 1945 ressemble dès lors à la première manifestation de la théorie de l'endiguement.

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