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Critique de Super Me : une réinterprétation intelligente du mythe du super-héros


Un grand pouvoir impliquent de grandes responsabilités

C’est encore grâce à Netflix que le public a pu découvrir un étonnant film chinois de super-héros. Projeté en 2019 dans de nombreux festivals sans avoir trouvé de diffuseurs, c’est ce service de V.O.D qui en a acquis les droits avant de le diffuser en 2021 sur sa plateforme. Netflix a encore eu de l’intuition car Super Me se révèle être un film efficace, intelligent réussissant à la fois à distraire et à questionner.


Le pouvoir de la page blanche

Super Me raconte de l’histoire de Sang Yu, écrivain, scénariste sans le sou dont la carrière n’a pas décollé. Incapable d’honorer ses dettes, pourchassé par ses créanciers, il peine à honorer une commande : rédiger un script pour son ami et agent. Pourtant il écrit en permanence au point de s’écrouler de fatigue et de se mettre à cauchemarder. Il rêve en effet d’un démon le pourchassant. Tout est si réel qu’il en perd le sens des réalités et évite le plus possible de dormir.

Devenu insomniaque, sa santé mentale bascule jusqu’au moment où il découvre qu’il a développé une capacité extraordinaire. Il peut transformer ses rêves/cauchemars en réalité, voyager où il veut et ramener de ses expéditions des objets. Toujours traqué par son mystérieux démon, il apprend à l’esquiver tout en amassant une immense fortune. Le loser devient un homme respectable capable de séduire son amour d’enfance Hua Er. Mais sa réussite suscite de nombreuses convoitises et semble renforcer la haine du terrible démon.

Réalisation de qualité

La première surprise révélée par ce long métrage concerne son niveau de réalisation. En effet le film se construit sur un concept ambitieux : une alternance entre monde des rêves et réalité. Or les productions chinoises nous ont souvent habitués à des effets spéciaux moyens. Ici ce n’est pas le cas, ils sont extrêmement bien soignés que ce soit les incrustations, les effets numériques, les créatures fantastiques. Tout est cohérent et permet de totalement s’immerger dans l’ambiance notamment lors d'un dernier acte parfaitement maîtrisé.

D’autant plus que le film pose une grande variété de décors représentant les multiples voyages du héros. Ainsi les environnements fantastiques/fantasmagoriques nous transportent dans des ambiances à la fois féeriques et angoissantes (le métro, le miroir…). Le réalisateur explore toute la dimension créative du personnage principale où se mêlent frustration, angoisse, goût du luxe. On apprécie aussi beaucoup le choix des environnements réels : la petite chambre, le café ou le loft aussi beau que froid. Seul bémol, la réalisation classique au début qui attend la seconde moitié du film pour vraiment décoller et démontrer tout le potentiel du réalisateur.

Des acteurs investis

La second surprise repose sur le jeu des acteurs. En effet le film multiplie les variations de ton : comédie, parodie, drame, suspense. Or l’acteur principal Darren Wang porte le film évitant les écueils du cinéma chinois: le sur-jeu. Au contraire il trouve un parfait équilibre entre le désespoir et l’exubérance du super-héros apprenti.

A ses côté, les autres acteurs sont très bons que ce soit Cao Bingkun, l’ami de l’écrivain, devenu son sidekick ne se posant aucune question sur le prix de ses super pouvoirs. Il offre un contrepoint au héros pris dans ses questions. Jia Song, la fiancée, joue magnifiquement la carte de la sensibilité de l’humanisme toujours prête à aider les autres et tâchant de ne pas être consumée par l’envie. On apprécie aussi le rôle du vieux vendeur ou celui du terrible gangster.

Un film qui croise les influences

Si vous chercher à donner un genre à Super Me, vous serez face à une difficulté. En effet nous sommes face à un film qui convoque plusieurs genres avec talent. La première partie lorgne du côté des comédies super-héroïques (style Spider Man) avec l’impact de super pouvoirs sur la vie d’un citoyen lambda. Les clins d’oeil sont nombreux autour de la thématique : un grand pouvoir implique de grandes responsabilités.

Très vite cependant le film dérive vers un style plus sombre, oppressant au croisement de Matrix, Inception ou de Edge of Tomorrow. Il questionne en effet le rapport entre réalité et fiction jusqu’à une scène finale qui rebat les cartes. Le public traverse le long métrage animé d’un doute : ce que vit l’écrivain est-il réel ou sommes-nous plongés dans le délire de ses visions ? Qui est ce démon : sa conscience, son inconscient ? Notre héros a-t-il raison de vouloir réécrire sa vie sans faire face à ses névroses : n’est-ce pas creuser un gouffre encore plus profond ? Le film n’est-il pas une métaphore de la créations littéraire ou artistique ? À l’image de son héros qui vole d’antiques œuvres art, l’écrivain n’est-il qu’un faussaire qui se juche sur les épaules de ses prédécesseurs ? Zhang Chong construit une œuvre polysémique qui trouve toute sa cohérence dans cette richesse thématique.

Niveaux de lecture

Ceci conduit à la dernière qualité du film : les différents niveaux d’interprétation. En effet nous pouvons le voir comme une itération originale et rafraîchissante du mythe du super-héros. Ici nulle planète à sauver seulement la vie d’un écrivain en mal d’inspiration et celle de ses proches confrontés à la tentation d’un pouvoir absolu. Nous retrouvons ici les questionnements propres à spider man.

Le film aussi peut se lire comme une critique de l’individualisme, de la consommation et du capitalisme. Cette satire est très explicite et prend un sens encore plus fort lorsqu’on la met en perspective avec ce qui se passe en Chine : croissance exponentielle, ventes records sur les sites marchands comme alibaba, conversion au consumérisme décomplexé. Elle nous interroge dès lors que la démarche du réalisateur : critique-t-il indirectement son pays ou se limite-il à une dénonciation du capitalisme venu de l’Occident ?


Le film se comprend enfin comme une métaphore de l’angoisse de l’artiste. Que se passe-t-il quand l’inspiration vous fuit, quand votre santé mentale s’effondre, quand la dépression créative vous submerge ? Stephen King l’a mise en scène dans son roman Shining. Zhang Chong propose une autre vision de l’auteur aux prises avec ses démons intérieurs incapables de les exorciser par l’écriture. Incapable aussi de trouver une voie médiane entre travailler pour ses commanditaires et créer pour lui même, le héros de son film s’enfonce dans la dépression jusqu’à se créer une bonheur fictif et à oublier ses rêves

Zhang Chong s’offre avec Super Me une très belle incursion dans l’univers superhéroïque. Son film divertit, interroge sur la fascination récente pour cet univers et la replace dans une analyse fine de nos angoisses.

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