A redécouvrir

L'homme du président

Traître ou héros

26 octobre 1979, Séoul, résidence présidentielle. Le président Park invite à sa table Kim Jae-Kyu, chef de la K.C.I.A, Agence sud-coréenne du renseignement, et ami de longue date. En plein repas le directeur de la KCIA assassine le président de la Corée du Sud. L'affaire a longtemps intrigué les historiens et les romanciers : quelles étaient les motivations de Kim qui avait aidé au coup d'état de Park puis à son maintien au pouvoir. C'est ce mystère qui a inspiré le dernier long métrage de Woo Min Ho, réalisateur connu pour ses thriller questionnant la face cachée de la Corée du Sud. Avec ce film il retrouve deux thèmes qui lui sont chers : le passé sombre de son pays et la famille Park. En effet, son dernier film, l'excellent Inside Men sorti 2015, traitait de la corruption au sein des élites de son pays et annonçait les scandales  qui, en 2016, allaient  mener à la destitution et à la prison l'ancienne président Park Geun-Hye, fille du général Park. Avec cet Homme du président il récidive et signe un thriller ambitieux de deux heures digne d'un drame shakespearien.


Première qualité du film c'est qu'il ne simplifie pas son intrigue. Il nous met dans une ambiance complexe en pleine guerre froide, en pleine période dictatoriale et de contestation démocratique. Pour un spectateur occidental, il est utile de connaître quelques éléments de l'histoire sud-coréenne pour bien comprendre les enjeux. Car si le film est complexe dans sa dimension politique, il est très clair dans sa narration. A l'aide de très nombreux flashbacks il rappelle les liens entre l'assassin et sa victime, la période troublée amenant la prise du pouvoir et la fragilité de la Corée du Sud coincée entre son dangereux voisin du Nord et l'implication de son allié étatsunien. Le réalisateur nous montre toutes les facettes d'une histoire où s'imbriquent lutte de pouvoir, corruption, guerre froide, rivalité de clan, fin de règne et peur permanent de l'ennemi du Nord. 

La seconde qualité concerne sa construction. Il est en effet comme un vrai drame shakespearien à la frontière entre Macbeth et Jules César. Toute la force de l'intrigue tourne autour des motivation de Kim : est-il un ambitieux ou un sauveur de la Corée ? Celui-ci est dépeint sous toutes ses facettes : implacable, méthodique, idéaliste, patriote. Pour mettre en scène l'image d'un homme pris dans un filet qui se resserre, le réalisateur joue beaucoup sur l'espace dans lequel il évolue : salon immense du président, dimension restreinte de son bureau, placard pour écouter ses ennemis. Un homme acculé dont les marges de manoeuvre se réduisent. Avec beaucoup de talents le réalisateur donne beaucoup de rythme au film alternant les moments de tensions fortes (à Paris, lors des interrogatoires) avec les retours sur le passé de ces militaires idéalistes. Alors que le film ne possède de vraies scènes d'action, il  nous maintient dans une tension permanente.  Entre Park le monarque, ses favoris, son ami, ses ennemis, le spectateur attend de savoir d'où viendra la menace. D'autant plus que le réalisateur utilise avec justesse deux protagonistes toujours dans l'ombre et dont on ressent pourtant l'étouffante menace : les nord-coréens dont le territoire est à quelques dizaines de kilomètres et les E.U.A soucieux de leur image de protecteur de la liberté.

La troisième qualité vient des acteurs. Ils sont extraordinaires criant de vérité et de ressemblance. Lee Byung-Hun livre une prestation incroyable pour se fondre dans le rôle de cet homme de l'ombre, idéaliste et assassin. Il parvient à faire oublier la star qu'il est pour donner corps à l'un des personnages les plus troubles de la Corée. Il faut aussi signaler la partition de Lee Sung-Min qui pousse la justesse de son jeu jusqu'à cultiver une ressemblance stupéfiante avec le général Park.

L'Homme du président se classe parmi les très grands thrillers historiques sud-coréens. Avec l'excellent 18 may , il constitue le diptyque indispensable pour saisir le tournant des années 1979-1980 en Corée du Sud. 

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