A redécouvrir

Red cliff, Part 1

Les Trois Royaumes



Fin du deuxième siècle après Jésus Christ, la dynastie Han s'enfonce dans le chaos. Révolte paysanne, scission des royaumes du Sud,  l'époque est propice aux ambitions personnelles. Cao Cao, général et intriguant devient le bras droit de l'empereur, véritable régent, et ambitionne de réunifier le pays. A la tête d'une immense armée il fond sur le Sud. C'est sur le Yangzi, au lieu-dit les Falaises Rouges, qu'a lieu une des plus célèbres batailles de Chine, devenue le sujet d'un des plus grands romans chinois. C'est à ce monument que s'attaque John Woo dans une fresque de deux heures divisée en deux parties. 

Première précision, nous allons chroniquer la version originale et non la version internationale qui transformait les 4 heures de film en un seul film de 2h 30 privilégiant l'action à l'essence profonde du film. Car John Woo  montre ici qu'il n'est pas que le génial réalisateur de polars nerveux et sanglants. Pour adapter la bataille-clé de la guerre des Trois Royaumes, il a choisi deux angles intéressants. D'abord il peint une formidable galerie de personnages certains historiques, certains magnifiés par la littérature comme les cinq généraux tigre de l'armée de Shu dont le célèbre Zhang Fei. Chaque personnage de cette saga a droit à son développement. Leurs traits de caractère sont brossés, ils ont chacun leur moment de bravoure lors de scènes de bataille épiques dont nous reparlerons. Chacun définit un archétype du chevalier, du serviteur fidèle. De même les trois  principaux protogonistes sont extrêmement bien caractérisés, parfois avec excès. On retrouve ainsi un Cao cao digne de sa légende noire, manipulateur, fin tacticien, ne reculant devant aucun stratagème, arrogant et paranoïaque ; Zhuge Liang interprété magnifiquement par Takeshi Kaneshiro, un tacticien hors pair au raffinement et au flegme tout britannique ; Zhou Yu (Tony Leung) son frère d'armes, alter ego en stratégie. D'autre part en construisant une fresque en quatre heures, John Woo peut parfaitement mettre en scène à la fois l'art de la guerre chinois fait de ruse, de piège, de déstabilisation, de modernité et la dimension psychologique de l'affrontement. Un exemple, l'une des meilleures scènes du film, le passage où Takeshi Kaneshiro et Tony Leung s'affrontent en jouant au Guzheng, merveille de symbolisme pour illustrer l'amitié et la complémentarité des deux compères.

Très bien écrit , le film dispose d'une réalisation hors pair. Avec John Woo il était difficile d'en douter. Et cela se voit dans les scènes de combat. Le passage des gunfights, à l'affrontement à l'arme blanche ne lui pose aucun souci. La chorégraphie fonctionne à merveille dans les duels à l'épée ou à la lance. Les 5 généraux tigres ont ainsi droit à des moments mémorables filmés comme autant de duels de tournois au sein de combat dantesques. Petits défauts récurrents dans ce genre de films, les héros sont indestructibles alors qu'en face les ennemis semblent avoir appris à combattre et viser avec Ray Charles. Un détail qui se perd dans l'ampleur démentiel des batailles. Plans serrés, plans larges, plans aériens, John Woo déploie tout son talent pour rendre grâce à la fameuse formation de la tortue, relatée dans le roman les trois royaumes mais qui semble être une pure fiction littéraire. Peu importe la véracité historique. Mais le plus intéressant ce sont les scènes réflexives, les scènes d'humour qui parsèment le film : de la fille jouant à la flûte, la chasse au tigre, les scènes intimistes jusqu'à l'improbable partie de football.  Ainsi le film ne souffre d'aucune longueur. Il le doit aussi au casting 5 étoiles avec des stars chinoises (Tony Leung !!!!! ) mais aussi japonaises (l'incroyable Takeshi Kaneshiro, Nakamura Shido) et mongol. Et quand on pense que John Woo avait envisagé de faire interpréter Cao Cao par Ken Watanabe, c'est vous dire si l'ambition était forte..

Le cas de Watanabe, refusé par pression des fans chinois, nous amène à la troisième qualtié du film : le discours historique. John Woo reste d'un côté fidèle à l'histoire : des rebelles s'opposant à un ambitieux ministre voulant unifier le pays de force mais aussi abuser de la faiblesse d'un empereur. Un discours entre  dans l'air du temps tant Cao Cao a été dépeint dans la littérature comme l'archétype du ministre ambitieux (un peu  comme Richelieu dans Les Trois Mousquetaires). Pourtant John Woo, l'homme de Canton qui a fait carrière à Hong Kong parvient à s'extraire de tout discours nationaliste. Il avait déjà montré avec The Crossing sa capacité à s'extraire de la censure. 6 ans avant il trouvait déjà le moyen de glorifier ces opposants tout en mettant en avant non leur rébellion mais leur loyauté envers le seigneur, leur refus d'obéir à un tyran et leur volonté d'indépendance. Joli coup de force qui apparaît en filigrane et qui n'alourdit pas la narration, bien au contraire.

Ainsi ce première volet de Red Cliff est clairement une réussite. Une fresque historique magistrale portée à l'écran par un maître du film de genre.
Pour la critique de la seconde partie, c'est par ici.



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