Le salaire de la peur
Peut être que les cinéphiles se rappellent du film S.W.A.T sorti en 2003 où un redoutable trafiquant de drogues proposait 100 millions de dollars à celui qui le tirerait des mains du S.W.A.T chargé de l'escorter ?Cette grosse production hollywoodienne échouait lamentablement à donner du coeur et de l'âme ce dilemme cornélien. En 2013 Takashi Miike présente à Cannées Shield of Straw un polar/thriller qui ressemble un peu dans son postulat de départ au film américain mais en beaucoup plus intelligent. Les critiques cannois l'ont mal accueilli et même boudé. Dommage car ce long métrage est passionnant.
Chasse à l'homme
Ninagawa est un puissant homme politique japonais. Quand sa petite-fille est assassinée, il est dévasté et ne demande qu'une chose la vengeance. Or, très rapidement, un principal suspect est identifié : Kunihide Kiyomaru. C'est un récidiviste homme qui a déjà
tué par le passé . Pour Ninagawa, la justice ne peut rien pour ce type d'individu.
Trois mois plus tard, il décide de poster des
annonces dans trois grands journaux, expliquant qu'il offre une très
grande récompense, 1 milliard de yens à la personne qui tuera ce meurtrier. Craignant pour sa
vie, Kunihide se rend à la police. Mais la récompense proposée par
Ninagawa attire les foules. Ce qui ne facilitera pas le transfert du
prisonnier. Une équipe d'agents triés sur le volet doit l'escorter entre Fukuoka et Tokyo et déjouer les tentatives d'assassinat.
Protéger et servir
Miike aime créer des situations tendues où la moralité est mise à bas. Dans Shield of straw (d'après le roman de Kazuhiro Kiuchi) il joue avec la figure du mal absolu -le tueur d'enfants- qui doit être protégé par ceux censés défendre la justice, la police. Dilemme terrible pour ses agents qui vont devoir mettre leur vie en danger pour sauver un criminel. Pour bien accentuer le conflit, Miike ne tente pas d'adoucir son "méchant". C'est un esprit torturé dont les pulsions peuvent se réveiller à tout moment, notamment lors de la scène de fuite dans la banlieue.
De plus, il donne une épaisseur à chacun des policiers. Le personnage principal est hanté par son passé et le deuil de sa famille. Sa collègue doit gérer son enfant, seule. Fragiles, c'est pourtant à eux de mener à bien une traversée de tous les dangers où non seulement chaque policier doit résister à l'appât du gain, défendre l'honneur d'une police qui n'a pas réussi à stopper ce criminel, gérer les pressions d'une hiérarchie plus avide d'image que de justice, surveiller ses collèges mais aussi se méfier de tout le monde : passager, conducteur de voiture, passant, média....
Car dans leur mission, une nouvelle contrainte se dévoile : comment considérer ces anonymes qui tenteront d'empocher la somme promise ? Motivés par l'argent, doivent-ils être néanmoins traités comme de futurs meurtriers ? Il faudra protéger tout en évitant d'user de violence contre les civils. Au de-là de la folie du meurtrier, Miike dénonce surtout l'argent, présent partout, pervertissant les basses et hautes sphères. Il pose une question forte : l'argent autorise-t-il tout ? Ainsi les civils redresseur de torts se retrouvent eux-mêmes plongés dans un casse tête moral (scène du shinkansen, de l'auto-stoppeur) : peut-on venger un crime en devenant soi même un criminel. Le film réussit dans son propose là où S.W.A.T échouait : approfondir la dimension morale du postulat de départ.
Shield of straw : Un suspense constant
Ce propos riche accompagne une oeuvre qui reste un excellent film d'action/thriller. Le suspense est haletant pendant toute la course poursuite. D'abord le long métrage offre un lot de scènes énergiques et spectaculaires savamment dosées et orchestrées. Miike excelle dans leur mise en scène soignée, lisible et nerveuse comme dans la longue séquence sur la route. Mais sa force est aussi de multiplier les lieux étonnants où l'on ne soupçonnerait pas la possibilité de créer des scènes captivantes : rase campagne, sur un pont, dans un train. L'atmosphère de paranoïa met le spectateur dans un stress constant. Les jeux de dupe transforment ainsi une simple poursuite en thriller où l'escorte finit par rejouer Fort Alamo, seule contre tous. Les séquences s'enchaînent avec logique grâce à l'excellente écriture du script.
Les trahisons, les doutes, permettent au film de toujours rebondir. Nerveux, sec, efficace, le film n'a pas à rougir de la comparaison avec les autres films d'action coréens ou américains. Il les dépasse même par la capacité de Miike à sauter d'un registre à l'autre : polar, drame, réflexion, humour. Seul élément relativement absent, la violence crue du réalisateur. Visiblement destiné à un large public, le film a amené Miike a faire dans le soft. Mais, elle est présente autrement, dans le questionnement, dans l'absolue folie du meurtrier et dans le final nihiliste, absolument pas happy end où le spectateur reste face à ses doutes : "comment agirions-nous si on devait être à la place des policiers chargés de la défense de ce tueur d’enfant ? Est-ce que cela en valait la peine ? " Et la poursuite le long du Tokkaido permet une jolie découverte des paysages japonais, ce qui ne gâche rien.
Notons que les acteurs sont au top. Quatre portent le film : Tatsuya Fujiwara dans le rôle du meurtrier livre une partition forte et juste. Inquiétant, détestable. On ne peut que saluer l'évolution de ce jeune acteur qui depuis Battle Royale enchaîne les rôles divers et ici difficiles. Nanako Mitushima, capable de jouer les professeurs timides dans l'adaptation de GTO, incarne ici une policière badass au sens de l'honneur irréprochable. Takao Osawa prêtent ses traits au chef d'équipe, fragile, sur qui retombent toutes les contradiction de sa mission. Et quel plaisir de retrouver le vétéran Tsutomu Yamazaki dans le rôle de ce vieillard détruit par la mort de sa petite fille.
Miike est donc très à l'aise dans une grosse production qui tout en enchaînant les morceaux de bravoure offre au spectateur un débat moral intense.
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