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26 years, vengeance à la coréenne

J'évoquais dans une news précédent le projet 26 years, lâché par ses investisseurs à cause de son sujet politiquement délicat, sauvé par le soutien du web. Après visionnage la mobilisation des internautes coréens a été récompensée malgré quelques défauts liés à l'histoire chaotique du projet.

Rappelons le scénario basé sur l'histoire méconnue de la Corée du Sud. En 1979 l'assassinat du président Park ouvre une brève période de démocratisation stoppée 2 mois plus tard par un coup d'Etat militaire orchestré par le général Chun Doo Hwan. La ville de Gwangju est alors marquée par une vague de manifestations d'enseignants, d'étudiants et de citoyens protestant contre la loi martiale. Du 17 au 20 mai la colère prend des tournures de soulèvement populaire ;  la mairie, la station de radio sont occupées. Le gouvernement réagit avec la plus extrême brutalité : l'armée reçoit l'ordre du président de tirer sur la foule et abat officiellement 200 manifestants qualifiés de rouges, des milliers selon les organismes de défense des droits de l'homme, les corps ayant été enterrés à la hâte dans des fosses communes. En 1987, le président Chun Doo Hwan quitte le pouvoir, il est poursuivi par la justice de son pays et condamné à mort en 1996 pour le massacre de Gwangju, peine commuée en prison à vie 1997 avant d'être annulée par grâce présidentielle. 

C'est  sur ce drame national que se construit le récit de vengeance. Commençons par les défauts du film. Les scènes d'action sont classiques (attaque du convoi, attaque de la résidence) très inspirées des blockbusters internationaux : plans courts, multiplication des angles de vue, caméra à l'épaule. Elles manquent parfois de lisibilité (comme la scène finale). Les plans d'attaque (surtout celui de la résidence) semblent aussi assez confus, confusion accentuée par les rebondissements annulant l'attaque première, lançant l'attaque seconde et ainsi de suite. Il semblerait ici que les difficultés liées à la distribution et l'influence du manga coréen expliquent largement ces défauts. Il y a la même sensation de déséquilibre lorsque l'on compare le manga japonais Bloody Monday et le Drama éponyme. Les scènes restent efficaces mais ne constituent qu'un atout secondaire du film.

Les qualités du film sont ailleurs . D'abord la mise en scène du massacre. Le réalisateur a choisi de l'évoquer  au travers d'un passage en anime, hommage au manga évident et qui offre une vision très forte du massacre. Teintes rouges sont angoissantes ;  le sang, les visages déformés, les cris, la ville, la haine, sont offerts sans filtre. Là où une scène avec des comédiens aurait peut être pêchée par retenu, le dessin offre une puissance d'évocation : la balle frappant la civile dans sa salle à manger, de la mort de la soeur, les mares de sang,  des visages livides et froids des tireurs, l'acharnement à coup de crosse des soldats ou la scène de la fosse commune. Cette entrée en matière est terrible.

 Ensuite il y a la description de l'existence des "survivants". Déchéance du père dans l'alcool hanté à jamais par le deuil, de la mère et de sa fille sans ressource depuis la mort du mari. Tous sont victimes de troubles nerveux à la simple vue de leur bourreau. Ces quasi psychoses offrent des scènes déchirantes où l'enfant assiste impuissant au spectacle de l'adulte anéanti.  Le film se focalise dès lors sur 5 descendants essayant de se reconstruire : un gangster, une tireuse professionnelle, un policier, un homme d'affaire, un patron de service de sécurité ; et un mystérieux 6è homme dont on comprend à la fin son rôle. La vengeance est ce qui va les réunir, une vengeance d'abord pure, le sang contre le sang. Tuer le président coupable d'avoir brisé leur vie, l'assassiner pour leur offrir ce qui leur a refusé par la justice, briser une vie afin de brise la loi du silence. Mais très vite la narration évolue sur le sens de cette vengeance, sa pertinence et chaque protagoniste suit son propre chemin : le tuer rendra-t-il la justice, la mort vaut-elle la peine de devenir un criminel, faut-il le tuer ou recevoir des excuses ? Au fil de leur quête, l'évidence s'effondre. Le tuer fera-t-il avancer le devoir de mémoire de la nation ?
Cette mémoire en miettes est l'autre point fort du film : quel regard sur les heures sombres de la Corée ?  Plusieurs thématiques, questions  traversent la narration. D'abord encore une fois le thème de la séparation des deux Corée, de la peur du rouge au nom de laquelle le massacre a été commis. Ensuite le sens du devoir autour de la figure des policiers chargés de président : en grand écart entre leur éthique professionnelle et leur morale. Tous endossent le costume du collaborateur. Et si ce n'était pas une histoire vraie on pourrait sourire en imaginant ces agents d'une démocratie luttant pour protéger un dictateur. Enfin la volonté de réconciliation. Pardonner à l'ex président suppose une amnésie volontaire. Elle nie aux victimes la réalité de leur souffrance et donc elle produit une forme de révisionnisme. Une scène est particulièrement parlante : l'hommage rendu au président par un parterre de notables, louant ses bonnes actions, sa vision, son rôle dans les JO de 1988. Scène hallucinante où l'une des victimes assiste à la sacralisation de son bourreau.  Le film ne prend pas de gant et prend le parti des victimes. C'est un visage bien sombre de la Corée qui est offert. Et à la fin du film c'est l'incrédulité qui l'emporte : comment une telle injustice a-t-elle pu être autorisée par un gouvernement démocratiquement élu, connue et acceptée par la population ?

Un mot sur les acteurs. Les "6" sont bien joués, convaincants surtout le gangster, "moby dick"  boule de haine pure ; et le jeune policier "accoustic" tiraillé entre sens de l'honneur et sens du devoir. La palme revient à Gwang Jang jouant le président. Il est véritablement terrifiant, accablant, décourageant. Aucun remord, du cynisme, une fierté pour ses actes.  Même au bord de l'abîme aucune trace de compassion ne marque son visage. Le spectateur reste perplexe sur le sort réservé à  ce genre de personnage rationnel, froid. 

26 Years film historique, engagé réussit ainsi à construire une mise en accusation de la compromission qui dépasse largement le cadre de la simple Corée. Collaboration, Réconciliation, Amnésie, ces termes ont aussi un sens dans l'histoire récente de l'Europe.

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