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Le meurtre de Henry Liu : une mafia fait chuter une dictature

Le bambou uni et le Kuomintang  

La dictature nationaliste du Kuomintang entretient depuis son installation à Taïwan des relations troubles avec les triades, notamment la célèbre Union du Bambou. Ce groupe a secondé le pouvoir pour lutter contre l'influence des communistes et a profité de ses services pour se développer dans l'île. Or en 1984, un nouveau service rendu au pouvoir provoque un scandale majeur aux conséquences inattendues. 

 

Henry Liu : un opposant en exil

Né en 1982 à Jingjiang dans le Jiangsu, Henry Liu est enrôlé dans l'armée nationaliste dont il suit la retraite à Taïwan. Il se reconvertit dans le journalisme. Devenu correspondant à Washington, il décide d'émigrer aux États-Unis à cause de la dictature dans son pays. En, effet ses travaux l'ont amené à remuer le passé de la famille de Chiang Kai Chek, celle de la femme de celui-ci (Soon Mei-Ling) et leur lien avec le monde des affaires et le crime organisée, notamment les mafias de Shanghai qui ont fui à Taïwan.

Depuis les E.U.A, il rédige des articles fortement critique et rédige en 1975 une biographie non autorisée du fils de Chiang Kaï Chek, Chiang Ching Kuo. En 1983, il prévoit de sortir une nouvelle biographie actualisée. Or, ses écrits attirent l'attention des services secrets taïwanais qui lui adressent des mises en garde : il doit atténuer la virulence de ses propos ce qu'il accepte sans toutefois revoir sur le fond ses écrits. Or, le 15 octobre 1984, à Daly City (près de San Francisco) deux hommes asiatiques, Wu Tun et Tung-Kueu-Sen, abattent Liu dans son garage. Ils agissent conformément aux ordres de Chen-Chi-li, chef de la triade du Bambou Uni, lui-même obéissant aux ordres du chef du renseignement militaire du Kuomintang, le vice-amiral Wang Hsi Ling.

Henry Liu
Henry Liu

Le mafieux se met à table

Cet assassinat n'est pas du tout du goût des E.U.A qui n'apprécient pas ces règlement de compte sur son territoire. Grâce au témoignage de l'épouse de la victime, les services de police ont très vite une description des tueurs. Ceux-ci ont fui vers Los Angeles où leurs commanditaires les attend. La mort du journaliste confirmé, les hommes embarquent vers Taïwan. Mais déjà Chen Chi-Li comprend que cette affaire n'est pas celle qu'on lui avait présenté : l'homme qu'il a tué n'est pas un agent communiste, c'est même tout le contraire. Sentant que les choses risquent de mal tourner, l'homme enregistre sa confession sur bande.

Il a bien fait car à leur arrivée il est arrêté avec ses hommes. La pression de Washington est, en effet, telle, que le gouvernement taïwanais est contraint d'agir contre le bambou Uni. Plusieurs de ses membre sont arrêtés. Mais les amis de Chen ont une carte en main : sa confession. Les hauts fonctionnaires incriminés sont à leur tour. Cependant la machine est impossible à enrayer car le F.B.I mène lui aussi son enquête. Et il a lui aussi des déclarations des mafieux et en mars 1985 une copie des confession de Chen Chi sont publiées par le Los Angeles Times. Toute la lumière est alors fait sur cet assassinat : les préparatifs avec les services de renseignement taïwanais, le choix de la cible. Les enquêteurs du F.B.I se rendent même à Taïwan pour interroger les assassins qui vident leur sac.

bambou uni
bambou uni

Le procès ne calme pas le scandale

Les prévenus sont jugés et condamnés lors de deux procès en avril 1985 et 1988. Chen Chi-li est condamné à la prison à vie, Wu Tu écope de la même peine ainsi que le vice-amiral Wang Hsi Ling. Tung Kuei Sen est condamné à 27 ans de prison. Deux hauts fonctionnaires, Hu Yi-Min et Chen Hu-Men sont condamnés à 2 ans et demi de prison.

Ces sentences ne font pas retomber la pression sur le gouvernement. En effet, elles mettent fin à la loi du silence entourant le rôle trouble des mafias. Les manifestations se multiplient tandis que le gouvernement étasunien (qui a entamé depuis 10 ans son rapprochement avec la Chine) critique vertement le Kuomintang pour avoir organisé un assassinant sur son sol. Surtout dans l'île, personne n'est dupe et derrière les condamnations, c'est le clan du président Chiang Ching Kuo qui est visé. Or, les années 1980 à Taïwan, la société est prête pour le changement et veut la fin de la dictature. En décembre 1985, le président Chiang annonce « si on me demande si un membre de ma famille se présentera aux prochaine élections présidentielles, je répondrai, cela ne se peut pas, cela ne se fera pas ». Deux ans plus tard, il mettra fin à la loi martiale faisant entrer Taïwan dans l'ère de la démocratie.

Cet assassinat a été, pour certains, vu comme l'élément déclencheur de la fin de la dictature à Taïwan. Il faut bien voir que cette étrange opération intervient dans un moment de profonds changements en Asie : le réchauffement des relations entre Pékin-Washington ; la contestation démocratie à Taïwan et en Corée du Sud. Or sans l'épouvantail communiste, les actions du gouvernements de Taipei sont scrutées avec davantage de minutie par les E.U.A. D'ailleurs, rappelons que Washington a une ligne rouge claire : pas d'assassinats sur son territoires. Quand les dictatures sud-américaines ont franchi cette ligne rouge au cours de l'opération Condor, l'oncle Sam les a vite recadré. Néanmoins, cette opération a levé le voile sur la place du Bambou Uni au cœur de l'appareil de sécurité taïwanais. Elle rappelle aussi le rôle des triades dans l'histoire chinoise depuis les 18ème siècle.

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