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critique du film Tapestry

 L’art du mélodrame

Dans le genre du mélodrame, les réalisateurs Japonais ont trouvé une formule qui fonctionne souvent.  Jouant sur les codes de leur société, sur l’importance du mariage et sur la réserve dans l’expression des sentiments, ils construisent des fictions parsemées d’épreuves herculéennes. Ils accablent leurs héros d’un destin cruel, les tourmentent par des choix cornéliens et leur font miroiter un bonheur toujours fuyant. C’est autour de cette même recette qu’est construit le film Tapestry de Zeze Takahisa, contant l’histoire d’amour contrarié d’un jeune couple entre Hokkaido et Singapour.

Tapestry

L’amour en un regard

Takashi Ren et Sonoda Aoi sont tous deux les nés en 1989. Et lorsqu’ils sont tombés par hasard l’un sur l’autre, le coup de foudre a été instantané. Mais leur idylle n’a duré qu’un temps. Ren a vite appris que la jeune Aoi vivait avec une mère instable et des beaux pères violents. Le destin a donc décidé de les séparer une première fois sans toutefois effacer le souvenir de cette romance adolescente.

Huit ans plus tard à l’occasion d’un mariage, ils se revoient. Ils ont chacun 21 ans et suivi des chemins différents. Pourtant leur amour est intact. Mais à nouveau les affres de l’existence, les engagements pris, les éloignent. Quand à 31 ans, leur vie se croise encore, une nouvelle chance s’offre à eux de vivre enfin cet amour contrarié. Mais sauront-ils la saisir ?

Tapestry

La vie est un conte cruel

Tapestry entraîne nos deux amoureux dans un tourbillon d’épreuves. Sonoda Aoi, interprétée par la sublime Nana Komatsu va multiplier les déceptions. D’abord familiale à cause de l’inconséquence de sa mère. Professionnelle ensuite où elle va découvrir la trahison et la perte de tout ce qu’elle a construit. Sentimentale où elle connaîtra la déception, le désenchantement de celui qu’elle a confondu avec un prince charmant. Et quand elle aurait pu retisser le fil de son amour adolescent, la vie bifurque. La jeune actrice exploite toute la palette de son talent à la fois belle, magnétique, fragile, triste. Elle illumine encore la pellicule.

Pour Ren, joué par Suda Masaki, la vie est à peine moins cruelle. Il a d’abord tenté de retrouver son premier amour, a essayé de l’oublier, a fondé une famille et a appréhendé la maladie. Tout en s’épanouissant sur le plan professionnel, l’existence se complaît à lui planter des couteaux dans le cœur. Quand il se stabilise, c’est pour expérimenter la disparition de l’être aimée. Et l’acteur est lui aussi excellent, tout en retenu quand il s’agit d’exprimer un amour naissant, tout en puissance quand la vie le malmène.

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Un étrange sentiment appelé l’Amour

Tapestry propose une jolie peinture sur cet Amour dont on ne peut se passer et qui pourtant nous glisse entre les doigts. Il y a l’amour fantasmé incarné par la magie du mariage et ses cruelles désillusions. Il y a l’amour souvenir que l’on craint de toucher de peur de le faire disparaître. Il y a l’amour simple représenté par la vieille dame et son restaurant. Il y a enfin l’amour vécu, celui des moments réels où l’on fait la part des choses, où l’on fait le bilan et on apprend à se satisfaire de ce que l’on a. 

Le film va donc proposer à nos héros et à leurs amis des itinéraires de vie fascinants. Outre l’histoire d’amour entre Ren et Sonoda, Tapestry va aussi en dépendre deux autres. La première  pleine de paillettes reste cruelle car construite sur le déséquilibre. Sonoda  s’y noie. L’autre plus douce, plus simple, s’épanouit dans la simplicité de la campagne d’Hokkaido et va guérir Ren de son chagrin d’amour. Ces épreuves construisent nos personnages et les amènent à se questionner sur la force de leur sentiment. Est-il réel ou un simple écho d’un passé fantasmé ? Sont-ils capables de faire passer cet amour qui n’a jamais éclos devant les impératifs de leur vie professionnelle ?

Tapestry

Hokkaido : la toile de fond d’un amour sincère

Brillamment mise en scène, Tapestry offre une myriade de cadres magnifiques qui tout à la fois célèbrent la beauté, la diversité du Japon et de Singapour et agissent comme un révélateur pour l’épanouissement de l’Amour véritable. En effet, le film dépeint le luxe, la modernité des métropoles de Tokyo et Singapour pour en souligner l’artificialité. Là où tout est paillettes, maquillage, est-il possible que les sentiments soient intacts, purs ? 

A l’inverse, le film met en avant l’authenticité, la rudesse, la douceur d’Hokkaido (et aussi un peu des îles du Sud). Ces vastes paysages de neige, ces petites villes, agissent comme l’écrin où peut s’exprimer réellement l’amour. Tout y est simple, reposant, réconfortant.  La caméra de Zeze Takahisa explore toute la force de ce Japon méconnu, la douceur de la lumières, la chaleur de ces petites villes de pêcheurs. Il y dessine une toile humaine qui ne demande qu’à prendre vie une fois chassées les fausses illusions du monde moderne. 

Tapestry est un excellent mélodrame qui risque de tirer quelques larmes. Porté par des acteurs excellents et une mise en scène intelligente, il ravira les amoureux du genre

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