A redécouvrir

Birds without name critique

Mourir d’amour

Encore inédit en France, Birds without name est le quatrième long métrage du réalisateur japonais Kazuya Shiraishi. Maniant avec brio le genre policier aussi bien dans un registre sérieux que comédie, il s’attaque en 2017 à l’adaptation d’un roman à succès décrivant sans complaisance les relations toxiques et la brutalité sentimentale. Il en tire un film brillant, astucieux mélange des tons, et donc la construction tient en haleine le spectateur jusqu’à son dénouement surprenant et réussi.

Birds without name

Un drôle de couple.

Towako et Jinjo forme un couples les plus mal assortis qu’il soit. Towako a à peine trente ans alors que Jinji en a plus de 50 ans. Towako passe ses journées à déambuler en ville quand son compagnon Jinjo multiplie les heures comme travailleur manuel. Elle vit à ses dépends, lui fait tourner la maison avec son maigre salaire. Elle le méprise, ne cesse de penser à son précédent amant et entame une relation charnelle avec un homme marié, quand Jinjo multiplie les preuves d’amour. 

Enfermée à la fois dans un petit appartement et dans ses souvenirs, Towako s’ennuie. Elle compose un jour le numéro de Kurosaki son amour d’antan qui l’avait brutalement quittée mais raccroche aussitôt. Or quelques temps plus tard, la police vient l’interroger à propos de son ancien amant qui a disparu sans laisser de traces.  Cette visite fait naître en elle des doutes quant à son colocataire. Quand elle découvre qu’il la suit lors de ses escapades avec son amant du moment, elle commence à le suspecter de cacher quelque chose.

Birds without name

Birds without name. Trop belle pour toi

Cette incroyable film repose sur un duo d’acteurs au sommet de leur art. La sublime Yu Aoi incarne cette jeune femme, tantôt cruelle, tantôt abusée, tantôt écervelée, tantôt naïve. Le réalisateur exploite l’innocence de son visage, la pureté apparente de ses émotions, pour nous faire ressentir un malaise constant. Cette femme, si dure envers son « compagnon », cynique, froide, devient une brebis hors de son « nid » d’amour. Elle devient une proie pour des hommes, propres en apparence, mais manipulateurs et brutaux.

Face à elle, Sadao Abe est épatant. Il porte lui aussi toute la dimension malaisante du film. On ne comprend pas bien pourquoi il endure tout cela. On ne saisit par l’intérêt qu’il tire d’une relation non charnelle faite d’humiliation et de moquerie. A chaque plan, le réalisateur sème les graines d’un doute. Il n’est pas possible que cet homme accepte tout cela de bon coeur. Il doit cacher quelque chose. 

Birds without name

Jouer avec le spectateur

Kazuya Shiraishi exploite le matériau d’origine pour en livrer une adaptation brillante. Celle-ci s’appuie sur un jeu entre plusieurs trames narratives. Il y a celle du moment où l’on suit les égarements, les doutes de Towako. Il y a celle du passé où le spectateur assiste à l’histoire d’amour entre Towako et Kurosaki et découvre l’envers du décor. Il y a enfin celle de Jinjo qui va, lentement,  être l’élément permettant à la vérité d’éclore.

Grâce à un montage excellent, un sens du rythme (l’accélération dans le troisième acte) et la beauté symbolique des cadres (en haut de la colline), ce film propose trois tonalité différentes. La première est celle d’un conte cruel avec Jinjo en victime. La seconde emprunte le style du drame psychologique où le vrai visage de Towako émerge. La dernière fonctionne comme un thriller magistral où tout se mêle, les révélations s’enchaînent et laissent le spectateur sans voix.

Birds without name

Birds without name : dans la peau d’une femme

Kazuya Shiraishi signe ici un thriller éminemment féministe et sans concession sur la société japonaise. Towako, cruelle au début du film, apparaît rapidement comme le symbole des violences faites aux femmes. Sans en dévoiler trop, on peut dire que rien ne lui sera épargner. Mensonge, trahison, mépris, utilisation comme marchandise. Les hommes autour d’elle l’exploitent. Et le choix de Yu Aoi pour incarner ce personnage est remarquable. L’actrice joue à merveille sur sa beauté hypnotisante et sa fragilité. Alors qu’elle pourrait avoir tous les hommes à ses pieds, c ‘est elle qui se soumet et s’oublie.

Les Hommes sont donc particulièrement égratignés dans ce film. Veules, infidèles, lâches, aucun ne sort grandit à part Jinjo. Et c’est toute la beauté de ce récit que de faire de cet anti-héros le seul repère stable de l’univers. Tout ce qu’il est fait est dicté par l’Amour et la protection des plus faibles. Sadao Abe livre une prestation époustouflante qui arrachera quelques larmes. 

Birds without name est un grand film. Un thriller intelligent proposant un discours sans concession sur la place de la femme.

Commentaires