A redécouvrir

1808, La Royal Navy en échec sur la rivière des Perles

 Les guerres napoléoniennes en Asie, épisode 4

Les secousses provoquées par la période révolutionnaire et napoléoniennes se firent ressentir très loin dans le monde jusqu’en Asie. Pour protéger leurs routes commerciales et les juteux profits avec la Chine, l’empire britannique multiplia les coups de force et les interventions armées à la limite du droit pour réaffirmer sa puissance et imposer son impérialisme. En 1806 ce sont les Hollandais qui font les frais de cette audace qui conduisit les Britanniques à deux doigts d’une confrontation avec l’empire du Japon au moment du raid de Nagasaki. Deux ans plus tard, les officiers britanniques jettent leur dévolu sur Macao, possession portugaise sur qui ils lorgnent depuis longtemps. Mais face à eux, la monarchie impériale Qing veille à la tranquillité de ces eaux territoriales.

Navires de a dynastie Qing combattant les pirates en Mer de Chine entre 1796 et 1820

Macao : un présence portugaise tolérée par les Chinois


L’arrivée des Portugais dans les mers asiatiques remonte au début XVIè siècle : 1505 ils fondent les premiers comptoirs indiens (Goa), atteignent Malacca en 1511 et abordent le delta de la rivière des Perles en 1513. Profitant de leur élan, les Portugais tentent de jouer de la diplomatie et de la force face à l’empire Ming : tandis qu’une délégation se rend à Pékin pour obtenir des empereurs un allègement des lois contre le commerce, des soldats portugais construisent un fort à Tunmen à l’embouchure du delta de la rivière, sur ce qui formera plus tard les nouveau territoires de Hong Kong. La réponse chinoise est aussi vive qu’efficace : 50 jonques organisent le blocus et attaquent les navires portugais. Ces derniers doivent se replier après avoir perdu 2 caravelles sur 5 et toutes leurs jonques.

Les Portugais comprennent le message et vont privilégier la diplomatie. Lorsque les Ming assouplissent les lois sur le commerce, les commerçants lusitaniens reviennent et prudemment demandent aux autorité de faire halte en rade de Macao en 1553. Quatre ans plus tard ils obtiennent le droit de s’installer définitivement à Macao moyennant une rente annuelle. Macao devient un comptoir portugais faisant partie de l’empire de Chine. Un statut qui aura toute son importance 250 ans plus tard.

Troubles révolutionnaires


Depuis la fin du XVIIIème, les mers de Chine alimentent un commerce très profitable fait de porcelaine, d’épices, d’opium et de thé. Dès 1787 les Britanniques regardent avec intérêt la position stratégique de Macao. Une première délégation doit se rendre en Chine pour obtenir le droit de faire étape à Macao mais le diplomate meurt en route.

C’est la révolution française qui réactive les ambitions britanniques et oblige les autorités portugaises à louvoyer entre leurs deux puissants voisins : l’empire chinois et l’empire britannique. En effet la France révolutionnaire est depuis 1792 en guerre avec l’Europe des rois. Le souverain du Portugal a rejoint la coalition et ordonne que l’on saisisse les navires marchands français présents à Macao. Mais cet acte de guerre est condamné par les souverains chinois qui interdisent à leurs hôtes d’importer en terres chinoises un conflit européen, rappelant par là même le statut particulier de Macao. Les Portugais s’exécutent. 

Mais à l’Ouest les Britanniques veillent prennent le prétexte de l’intervention franco-espagnole de 1801 contre le Portugal et de la défaite de ce dernier pour tenter de mettre la main sur Macao au nom du maintien de sa souveraineté. Mais sur place les autorités qui supportent de moins en moins les empiétements britanniques se tournent vers leur protecteur chinois. Si 6 navires de guerre britanniques font route depuis l’Inde, les autorités chinoises leur envoient très vite un message clair : quitter les eaux chinoise. Le face à face se tend mais la signature de la paix d’Amiens de 1802 entre la France et l’Angleterre désamorce temporairement la crise.

Les Britannique défient l'empire Qing


L'empereur Jiaqing

La paix d’Amiens ne dure pas et un an plus tard les hostilités franco-anglaises reprennent. Ces derniers visent toujours le contrôle des mers et n’ont pas abandonné l’idée de se saisir de Macao. Or les autorités chinoises ont abandonné toute naïveté devant les manœuvres britanniques. Ces derniers ont beau envoyé des ambassadeurs pour convaincre les Qing que les Français sont le mal, les Chinois eux sont inquiets de ambitions navales britanniques en Mer de Chine. Les fonctionnaires d Canton se méfient de tout prétexte permettant aux britanniques de s’implanter dans la région : ainsi tout en échangeant diplomatiquement avec le roi Georges III, l’empereur Jiaqing interdit au vice-roi de Canton, haut fonctionnaire impérial en Chine du Sud, de laisser des Anglais faire la chasse aux pirates, notamment ceux de l’Annam. Les eaux chinoises leur sont interdites sauf si les Chinois leur demandent leur aide.

Du côté britannique deux parties divergent sur la conduite à tenir face à l’empire du milieu. D’un côté la navy et le gouverneur des Indes  souhaitent « forcer la main » des chinois en prenant définitivement pied dans le delta de la rivière des Perles, de l’autre la compagnie des Indes redoutent qu’une aggravation de la pression anglaise ne conduise les Chinois à interdire tout commerce avec les Anglais. L’argument de la lutte contre la piraterie ayant échoué, les Britanniques vont utiliser une méthode qui a fait ses preuves en 1806 : la menace d’invasion française.

En effet dans le but d’imposer un blocus continental à l’Angleterre, Napoléon a envahi en 1807 le Portugal. L’aubaine est trop belle pour britanniques d’utiliser ce prétexte pour mettre la main définitivement et légalement sur Macao. Les agents de la compagnie des Indes s’agitent, font remonter le danger représenté par une installation française à l’embouchure du delta et font passer des message aux autorités portugaises et chinoises. Ils insistent sur les risques de pertes financières en cas d’interruption du trafic : pertes pour la compagnie et pour les fonctionnaires. Les Britanniques pèchent par orgueil et considèrent que leur offensive médiatique suffira pour justifier leur conquête. Ils sous-estiment aussi la réaction chinoise et parient sur la passivité des Portugais.

La croisière ne s’amuse plus

Juillet 1808, Lord Minto, gouverneur général des Indes, informe le vice-roi de Gao, représentant du roi du Portugal, qu’il va envoyer des troupes protéger Macao. Intelligemment, le diplomate lusitanien ne répond ni favorablement ni défavorablement à l’offre. Sans ordre de sa part, les officiers portugais à Macao ne pourront interpréter l’arrivée des Anglais que comme une invasion et se retourneront vers le protecteur chinois. Les Britanniques confient la flotte au vice-amiral Drury et sûrs de leur fait lui confient une mission annexe : faire une démonstration de force le long du fleuve Rouge au Vietnam pour effrayer les pirates et surtout obliger l’empereur d’Annam à ouvrir Hanoi aux commerçants britanniques. La leçon ne se passe pas comme prévu. Les annamites contre-attaquent et leurs jonques envoient par le fond les navires légers britanniques imprudemment engagés sur le fleuve Rouge. La flotte cingle donc vers Macao : 1 navire de ligne, 1 frégate, 1 sloop et 300 hommes. Assez pour surpasser les maigres défenses lusitaniennes. Ce qu’ils ignorent c’est que leur déconvenue au Vietnam a été rapportée aux autorités chinoises qui vont en tirer une leçon inattendue : l’opération contre Macao cherche à compenser l’échec d’Hanoï.

Le 11 septembre 1808 l’escadre de Drury accoste à Macao et le 21, les 300 hommes débarquent et occupent la citadelle. Le commandement de la place Lemos Faria n’a ni les forces ni les ordres pour s’opposer militairement à cette invasion, cependant il en informe les autorités chinoises. Leur réaction est immédiate et une première mauvaise surprise. Le vice-roi de Canton suspend tout commerce avec les Anglais et éconduit les envoyés de Drury. Celui-ci débarque de nouvelles troupes : 700 hommes. Neuf autres navires rejoignent Drury qui fortifient ses positions et même poussent son avantage en entrant dans le delta de la rivière des Perles et en jetant l’ancre près de l’île de Whampoa (Pazhou aujourd’hui).

Le choix de la démonstration de force produit le contraire de ce qui était escompté. L’empereur ordonne de réarmer les forts de la bouche du tigre qui défendent l’entrée de la rivière des Perles, envoie 80 000 soldats à Canton et concentre une flotte jonques sur la rivière des Perles. Il intime l’ordre aux britanniques de quitter la rivière sans quoi il les chassera par la force. Il menace également les navires de commerce britanniques. Le 21 novembre Drury rappelle ses navires les plus avancés mais le 18 décembre tente de forcer les défenses chinoises à Canton, en vain. Il ordonne aux navires de commerce de quitter Canton mais de nombreux capitaines refusent. En effet entre la navy et la compagnie des Indes Orientales, le torchon brûle. Ces derniers ont reçu de l’empire chinois l’assurance que le retrait des forces britanniques entraînerait la reprise immédiate des échanges. Le 20 décembre Drury évacue ses troupes de Macao. Les Chinois vont élever une pagode pour célébrer cette victoire.

La Chine a donc fait plier temporairement l’impérialisme britannique. Londres engagé en Europe contre Napoléon n’a pas les moyens de ruiner sa relation avec la Chine. L’affaire a vite été oubliée sauf pour les deux principaux protagonistes qui furent désavoués par leur supérieur. Paradoxalement c’est Wu Xiongguang gouverneur général de la province de Caton qui perdit le plus : démis de son poste, il fut exilé.

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