A redécouvrir

critique de la légende de Baahubali the beginning

Une introduction dantesque



C’est à un monument du cinéma indien (du Tollywodd, le cinéma du Sud du pays) récent que nous nous intéressons aujourd’hui. La légende de Baahubali, sortie en 2015, se présente comme la première partie d’un diptyque se déroulant dans une Inde médiévale fantastique. Le film a été un des plus grands succès du cinéma indien, a raflé de nombreux prix. Il a très vite intrigué au de-là de ses frontières. En effet les quelques images qui filtrèrent donnaient le vertige : Conan le Barbare, Gladiator, Moïse, Le Seigneur des anneaux et de la romance réunis dans un film fleuve de 2 h 40. Après visionnage, c’est cela et bien plus encore. Le long métrage de S.S Rajamouli représente la quintessence d’un cinéma décomplexé, débridé, osant tout, assumant la démesure et le premier degré du cinéma indien. En route vers un monument épique, bancal et terriblement généreux du 7ème art.

L’enfance d’un héros

Shiva est un enfant qui a grandi au pied d’une immense cascade d’eau. Il cultive un rêve : gravir cette falaise et découvrir le monde d’en haut au grand désespoir de sa famille. Lorsque l’adulte il est découvre dans les eaux un mystérieux masque de bois, il entreprend à nouveau la périlleuse ascension et découvre une autre monde : le royaume de Mahismati.

Le puissant Etat est sous la coupe du cruel roi Bhallaldeva qui depuis 25 ans emprisonne et humilie la princesse Devasena. Des rebelles tentent en vain de la sauver jusqu’au jour où l’une d’entre elles Avantika croise Shiva. Celui-ci décide de prendre fait et cause pour la belle guerrière dont il est tombé amoureux. Il va alors découvrir la vérité. Il est le fils du roi défunt Amarendra Baahubali et de son épouse la princesse Devasena. Il a échappé à la mort grâce au sacrifice d’une femme qui le confia aux flots sous la protection de la déesse Shiva. Le jeune prince se lance à la reconquête de son trône tout en découvrant l’histoire de son illustre père.

 Baahubali : le Mec plus ultra


Le public occidental est prévenu. Avec Baahubali c’est le retour de l’iconisation sans subtilité du héros masculin. En effet le héros est un condensé de Conan, de Maximus, d’Aragorn, de The Rock version Fast and Furious. Vous avez aimé Commando, Rambo et Les 10 Commandements. Alors vous êtes prêts à suivre les aventures de protagonistes qui cassent des statues, provoquent des avalanches, soulèvent des rochers et balaient des armées à eux tout seuls. Ce qui extraordinaire c’est que le film reste extrêmement frais en intégrant les codes des films testostéronés des années 1980-1990, à la sensibilité, naïveté des productions indiennes.


Car les héros sont beaux, quasi divins et sont irrésistibles. Comment séduire une redoutable guerrière ? Par une improbable technique de séduction à base de tatouages furtifs, puis en entamant une danse sensuelle où la belle est progressivement dénudée. Le film n’a rien à envier aux monuments hollywoodiens de la force virile (Commando, Conan…). Mais il rajoute des moments de danse et de chant très doux et nimbés d’un sous texte sexuel tout à fait assumé. La Légende Baahubali invente ainsi le héros des héros : la synthèse de Arnold Scharzenegger et de John Travolta.

La légende de Baahubali : aucune limite à la démesure

S.S Rajamouli a vu Mad Max Fury Road, les Trois Royaumes et le Seigneur des Anneaux. Et ce qui est sûr c’est qu’il a décidé d’aller encore plus loin d’abord en termes de thématiques. Son film sera une romance, une vengeance, un conte, une histoire de guerre, de destin. Et il passera d’un registre à l’autre sans la moindre délicatesse. Ainsi vous passerez d’une scène de serments poignantes à une séquence de séduction au bord d’un lac de façon abrupte. De même au deux tiers du films, la narration change pour nous livrer un flashback de près d’une 40 minutes. Avant de revenir à la trame d’origine et de nous livrer un cliffhanger d’école. Et n’oublions pas les ruptures de décor : les protagonistes passent d’une jungle, à une montagne enneigée puis à un lac féerique en un claquement de doigt. Tout le montage est ainsi une ode à la démesure osant les transitions les plus brutales mais si typiques de ce cinéma.



Cette démesure se lit aussi dans les environnements. Vous allez voyager entre des cascades géantes faisant passer celle du Lac du Victoria pour une attraction sympathique, passer par un palais colossal, des montagnes immenses. La moindre construction humaine se doit de défier la raison : une statue en or de 100 mètres, un char à faux démentiel. Quand au bestiaire il est au diapason : un taureau furieux à côté duquel le Minotaure serait mignon, des cygnes au de-là du majestueux, des éléphants cousins des oliphants du Retour du Roi. Le film fait le choix du sensationnel et du merveilleux. Le réalisme n’a pas sa place.

Ceci se voit encore plus dans les épreuves du héros et la grandiloquence des combats. Hollywood nous a montré des héros assommant des chameaux (Conan), gravissant des falaise ou des puits à main nu (Mission Impossible, The Dark Knight), brisant des colonnes (Conan). La Légende de Baahubali ira plus loin : toutes ces épreuves seront relevées dans le même film. Et pour l’action le réalisateur décide de repousser encore les limites. Dans Le seigneur des anneaux Légolas faisait du surf sur un bouclier. Baahubali en fera sur un rocher pour échapper à une avalanche. De même pour les combats à l’épée ou à main nue, le héros frappe, vite fort, triomphe de hordes d’adversaires. Il ne fait pas dans la dentelle, le sang gicle, les membres volent. Nul ne résiste au mâle alpha ultime. Et comme si cela ne suffisait pas, le long métrage nous réserve le meilleur dans son troisième acte. Il s’achève en effet sur une bataille finale démesurée, synthèse des Trois Royaumes et du Retour du roi.


Des effets spéciaux à la traîne, un film qui s’assume


Il y a un point qui risque de froisser les spectateurs occidentaux : les effets numériques. Clairement l’Inde accuse un immense retard par rapport aux E.U.A. Et de nombreuses scènes souffrent d’effets visuels moins bons que dans les jeux vidéos, d’incrustations discutables, de décors trop artificiels. Le plus étonnant c’est que les effets les plus honorables côtoient des plans numériques bâclés (l’eau). Plus surprenant encore, un même environnement sera tourné en prise de vue réelle puis recréé numériquement. Et la séquence finale nous est livrée telle quelle sans volonté de masquer les raccords. Pourtant au lieu de sortir le spectateur du film, cette imperfection technique rend le film encore plus charmant.


Car nous sommes devant une œuvre qui assume totalement ce qu’elle est. Un conte sans demi-mesure, une ode baroque à la virilité, un voyage dans le fantasme. Le film sera généreux, premier degré. Il véhiculera du romantisme pur, de l’humour décomplexé. L’important c’est d’offrir 2 h 40 de dépaysement total et de s’inscrire dans la lignée des grands films d’aventure qui n’ont pas peur d’embrasser leur thématique. En outre, l’histoire que l’on nous raconte reste extrêmement bien écrite, prenante, cohérente. La narration nous emporte et comporte assez de mystères pour susciter une attention constante. Le symbole : ce troisième acte qui nous entraîne dans une autre direction, imprévue et brillante. Là où trop de films hollywoodiens ont tendance à s’essouffler, la Légende Baahubali repart à nouveau vers les sommets.

Avec La légende Baahubali The Beginning, l’Inde démontre que son cinéma ne se résume au seul Bollywood (qui offre d’ailleurs d’excellents films). En 2 h 40, le spectateur va vibrer, pleurer, rire, devant un spectacle dantesque, une poésie baroque, un opéra de la démesure.  



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