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Sorti en 2019, The garden of evening mist est le dernier long métrage du taïwanais Tom Lin Shu-yu. C’est un projet ambitieux. Il s’agit en effet d’adapter le second roman de Twan Eng, auteur malaisien, publié en 2012 et encensé par la critique et le public. Qui plus est, l’histoire se déroulant dans l’immédiat après seconde guerre mondiale en Malaisie, le réalisateur a dû composer avec un casting international : les actrices Angelica Lee et Sylvia Chang respectivement malaisienne et taïwanaise, les acteurs britanniques Julian Sands, John Hannah et la star japonaise Hiroshi Abe. Beaucoup d’attentes, beaucoup de moyens pour un résultat brillant.
L’histoire nous transporte en Malaisie à trois périodes différentes. Pendant la seconde guerre mondiale, Yun Ling est sa sœur sont capturées par les Japonais et envoyées dans un camp. Tandis que l’aînée travaille de force, la cadette sert comme femme de réconfort. Pour ne pas sombrer dans le désespoir, la jeune sœur imagine en secret un jardin japonais idéal. Malheureusement, le jour de la capitulation, les gardes japonais brûlent le camp et enterrent vivants les prisonniers. Seule l’aînée en réchappe.
Après-guerre, Yun Ling travaille pour le tribunal jugeant les criminels de guerre japonais. Elle tente, sans succès jusque-là, de retrouver la localisation exacte du camp où est morte sa sœur mais elle tombe sur le dossier d’un jardinier japonais, Nakamura Akimoto, vivant isolé dans les montagnes. Elle décide de le rencontrer et de lui demander de lui apprendre l’art des jardins. Ainsi elle pourra en bâtir un et rendre hommage à sa défunte sœur.
30 ans plus tard Yun Ling est pressentie pour entrer
à la cour fédérale mais fait l’objet d’une campagne de dénigrement. Le
jardinier Nakamura Akimoto est accusé
d’avoir été un espion japonais. Afin de démêler le vrai du faux, la future juge
retourne sur les lieux où elle a rencontré l’étrange japonais.
Le film brille d’abord par son évocation d’une page méconnue de la seconde guerre mondiale et de l’après-guerre. En effet le cinéma asiatique nous a offert beaucoup de
films sur les crimes perpétrés par le
Japon en Chine et en Corée mais très peu sur les autres pays. Ici le
réalisateur taïwanais met en scène avec beaucoup de pertinence et
d’intelligence l’horreur subie par les populations civiles malaises :
viols, tortures, pillages, massacres. Le
film va encore plus loin dans son évocation
puisqu’il s’intéresse aussi au traumatisme de la survivante : un bain,
une marche dans la montagne, les directives du jardinier ravivent les plaies
toujours avec cette simplicité de mise en
scène Le film va aussi nous plonger dans le douloureux après-guerre en
Malaisie. : la traque des criminels, le retour du colonialisme, le début de la
guérilla communiste sur fond de recherche du trésor de Yamashita. Ce qui rend
extrêmement forte cette rencontre avec ce jardinier comme sorti du temps
A la différence des réalisateurs
sud-coréens ou chinois, Tom Lin Shu-Yu évite
tout discours patriotique (son origine taïwanaise lui permet d’avoir cette
hauteur de vue, cette retenu, cette indépendance qui manquent à certains).
Les séquences sont dures, courtes et efficaces. Il n’a pas besoin de tomber
dans la surenchère. Au contraire La
violence est souvent suggérée : les moments autour des femmes de réconfort
sont glaçants. On ne voit pas mais on
entend, on comprend.
Cette mise en situation renforcée par le choix des couleurs
et de la lumières : tout est très lumineux, coloré, les paysages sont
magnifiques pour encore plus souligner l’insoutenable cruauté des Japonais. Le
film est extrêmement beau, choix esthétique audacieux à rebours des films
traitant de la guerre (privilégiant par exemple le noir et blanc, la noirceur,
la crasse) pour un effet encore plus fort. Un paradis transformé en
théâtre de la monstruosité.
La mise en scène de Tom
Lin Shu-Yu réussit parfaitement à retranscrire les multiples sens de l’œuvre.
En effet le livre et le film sont d’abord une déclaration d’amour au jardin
japonais, à cette peinture du végétal, à cette miniaturisation de la nature.
Par ses cadres, ses focales, il construit de nombreuses scènes comme des
tableaux, utilisant l’encadrement des fenêtres pour donner vie à la philosophie
de ces jardins, à faire ressentir le point de vue du créateur. Il profite
également de paysages malais somptueux : champs de thé, rizières,
collines, jungle. Il se dégage des moments d’une rare poésie comme celui des
lanternes.
Son film se construit aussi comme une triple enquête. Il y a d’abord la recherche de la dépouille de la sœur, enfouie quelque part dans ses collines luxuriantes. Plusieurs indices sont disséminés jusqu’à une conclusion brillante. Il y a la question du passé de ce jardinier : pourquoi est-il ici ? Pourquoi refuse-t-il de rentrer au Japon ? Quel est le sens de ce jardin ? Il y a enfin la quête de l’or de Yamashita, des trésors pillés par les Japonais et enterrés quelque part dans les montages. Grâce à un superbe montage qui multiplie les transitions douces entre chaque période, toute l’intrigue se révèle progressivement.
Le film est enfin une histoire d’amour. Amour entre deux
sœurs par de-là les avanies et la mort, amour entre des cultures, amour entre des êtres malgré les blessures de la
guerre. L’histoire interroge beaucoup sur la reconstruction des femmes et
hommes. Quels sentiments l’emportent : la rancœur, la honte, l’espérance. Peut-on aimer et oublier ses peines ?
Ces questions sont parfaitement incarnées à l’écran par le duo Angelica Lee, Hiroshi Abe.
L’alchimie entre les deux fonctionne dès la première scène et on ressent toute l’ambiguïté de leur face à face :
l’ancienne victime face au représentant l’ancien ennemi ; l’apprentie face au maître ; la juriste
face à l’idéaliste. Entre deux êtres que tout oppose en apparence, une promesse
bouscule les a priori et les secrets.
Cette histoire d’amour trouve enfin une résonance particulière dans le lieu dans lequel elle se déroule. La Malaisie est un pays métissé, au carrefour des influences indiennes, japonaises et britanniques, au centre des rivalités et des guerres. Une péninsule qui jette des ponts par de là les passions et les frontières.
Rares sont les films qui parviennent en moins de 2 heures à
vous faire un cours d’histoire, à parler
philosophie et spiritualité, à suivre une triple quête et à parler des
sentiments humains. The garden of evening
mists fait partie de ceux-ci et mérite toutes les louanges que lui ont
tressé les critiques asiatiques.
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