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Critique du film Take point

L'art de tout dire dans le mauvais ordre

Pour son troisième long métrage,  Kim Byung-Woo a choisi de mélanger les genres. Take Point se présente comme un film d’action survitaminé mâtiné d’intrigues politiques et diplomatiques sur fond de face à face nucléaire en Corée, de dénonciation de la guerre comme argument électoral et de grand jeu entre Chine et Etats-Unis. Avec au centre,  les deux Corées marionnettes entre les mains de leurs puissants voire encombrants voisins/alliés et une bande de mercenaires dans le style expendable.  Il en résulte un étrange objet filmique boursouflé, généreux et extrêmement confus.


Ouais c'est pas faux

L’intrigue nous met dans l’ambiance. 2022 la Corée du Nord accepte de se dénucléariser et entame une vraie détente avec les E.U.A. Son économie décolle aidée par la levée des sanctions économiques et les investissements chinois. 2023, la guerre commerciale entre les E.U.A et la Chine produit une vague de récession et des grèves aux Etats-Unis. La cote de popularité du président s’effondre alors qu’approchent les élections présidentielles. La Maison Blanche change alors son fusil d’épaule et accuse la Corée du Nord de ne pas respecter ses engagements et promet une récompense record à qui capturera le leader nord-coréen. Afin d'inverser la tendance électorale, un officier de la C.I.A décide d’organiser une opération secrète à l’aide de mercenaires. Aider un général Nord-coréen à déserter en l’exfiltrant d’un bunker ultra secret sous la frontière entre les deux Corée, en échange l’officier promet de donner la localisation de l’arsenal nucléaire de son pays. Mais quand l’opération se déclenche, ce n’est pas le  général que les mercenaires trouvent  mais le président nord-coréen lui-même. Ce n’est que le début d’une lutte pour leur survie face à des ennemis cachés, des alliés retors et un risque d’emballement nucléaire.

Si la lecture de ce scénario vous semble alambiquée, dites-vous que ce n’est que le début d’une histoire qui se veut complexe et qui en définitive est absurde. Les intentions du leader nord-coréen se seront jamais explicitées ; les multiples trahisons se succèdent régulièrement avec une attention particulière à rendre tout confus. Le but de la C.I.A, on s'en moque. C’est un coup monté des Américains manipulés par les Coréens du Nord qui sont eux-mêmes manœuvrés par les Chinois. Le tout débouchant sur des combats aériens et une explosion nucléaire sans comprendre le but de chaque camp.

Sois incrédule et tais-toi

 Le film choisit en plus de nous asséner les affirmations à un rythme infernal. Les 10 premières minutes par exemple sont un festival d’informations où  se croisent le désarmement, la crise économique provoquée par la fin des sanctions envers  la Corée ( ???), la crise automobile, la guerre commerciale, les élections présidentielles. A peine avez-vous essayé de comprendre ce postulat de départ assez bancal que l’on vous balance dans ce bunker très grand dont une partie est aménagé comme une suite d’hôtel. Et courage pour arriver à comprendre la géographie des lieux. Les mercenaires sont sensés être pris dans un cul de sac mais les couloirs semblent s’agrandir à l’infini. Le complexe comporte plusieurs galeries superposées et cerise sur le gâteau ce n’est pas vraiment un bunker puisque un char arrive à tirer dans le complexe par en-dessous….


Il faut aussi noter les choix et intrigues secondaires qui achèvent de rendre l’histoire confuse. Les choix d'abord sont très douteux. Le leader nord-coréen ne parle jamais de tout le film puisqu’il est inconscient. Le chef des mercenaires handicapé (il a une jambe artificielle) ne se bat presque jamais et passe le film à tenter de maintenir en vie le dictateur. Il a en parallèle un dilemme terrible puisque sa femme est en train d’accoucher aux Etats-Unis ce qui conduit à des scènes complètement improbables. Notamment celle où  sur le point de lancer l’assaut, les mercenaires font une pause pour que leur chef puisse parler à sa femme avant l’accouchement. Le film amorce en plus des intrigues secondaires (trahison, retour d’un ancien allié) pour les  abandonner presque immédiatement. Il multiplie les incohérences : les réseaux téléphoniques qui fonctionnent  ou dysfonctionnent selon les besoins de l’histoire ; les traîtres à qui l’on pardonne tout deux minutes après ; les buts de la C.I.A ; le discours final du président…

Dans tout ce joyeux bazar, deux éléments sauvent le film du total naufrage. Les deux acteurs principaux  d’abord tiennent le film à bout de bras. Ha Jung-Woo  incarne le mercenaire  sud-coréen et Lee Sun-Kyun le médecin du président. Ils arrivent à faire vivre cette amitié naissante entre deux hommes que tout oppose. C’est un exploit au vu du peu d’intérêt accordé par le réalisateur au développement de ses personnages, aux incohérences et au traitement des personnages secondaires qui ne viennent à aucun moment soutenir la narration. La mise en scène des séquences d’action ensuite est efficace avec des passages en caméra subjectifs nombreux même si leur abus finit par atténuer leur portée. Reste que comme nous n’avons à aucun moment eu le temps de nous attacher aux personnages, leur sort nous laisse de marbre et les gunfight perdent tout intérêt dramatique.

Take Point se révèle être en définitive un film malade de son absence d’identité. Thriller, film d’action, satyre politique, il tente d’embrasser ces multiples dimension et échoue à en incarner une seule.  Un exemple visuel  fascinant de la formule : « vouloir en faire trop ».

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