A redécouvrir

Ip Man 4

 Le crépuscule des idoles

Réalisée par Wilson Yip la série des Ip Man retrace depuis 2010 la vie d'Ip Man le maître d'arts martiaux qui forma Bruce Lee. Dans la veine de la série des Il était une fois en Chine, Wilson Yip ne choisit pas de livrer une biographie fidèle mais d'imaginer la légende de ce personnage célèbre en Chine. Après deux premiers volets très réussis, un troisième plus anecdotique marqué néanmoins par, la présence de Mike Tyson, ce quatrième sorti en 2019 se pose comme l'acte final de l'histoire.


Maître Ip Man est célèbre à Hong Kong. Admiré par tous, son école attire de nombres adeptes. Mais derrière la légende la maître est au bout de sa vie. Son épouse est morte, lui même vient d'apprendre qu'il est malade du cancer et les relations avec son fils sont mauvaises. Quand son ancien disciple Bruce Lee l'invite à San Francisco, Ip Man profite de l'opportunité pour se rendre aux Etats-Unis et aller y trouver une école pour son fils. Mais le rêve américain réserve des épreuves au grand maître. Et comme l'harmonie ne règne pas au sein de la communauté des expatriés chinoise, le vieux maître va devoir à nouveau user de son art pour faire triompher la morale et la justice.

Ip Man 4 est un film qui boucle presque parfaitement la saga. Wilson Yip a en effet choisi de construire un film ambitieux d'abord dans sa mise en scène. Une grande partie du film se situe aux Etats-Unis au début des années 1960. Pour le rendre crédible le réalisateur et ses équipes ont tenu à offrir une très belle reconstitution du San Francisco de ces années en particulier du quartier de Chinatown. Si les décors sont très beaux (rues, maison), on apprécie surtout la minutie des nombreux détails : affiches, vêtements, pop-culture. La plongée dans ce passé fonctionne parfaitement d'autant plus que le film offre au début une très belle incarnation de Bruce Lee. Loin des clones de la bruce ploixtation, Danny Chan se glisse dans la peau de la légende avec brio. Dans les mimiques, les combats, la posture, il parvient à faire revivre un Bruce Lee que l'on voit trop  peu au cinéma : le disciple, l'enseignant. 

La second qualité du film concerne évidemment les combats. Donnie Yen, Ip Man,  montre qu'à 57 ans il est encore la référence en matière de film de combat. Le film poursuit l'iconisation de son  personnage en lui offrant plusieurs moments de bravoure : un face à face dans un salon de thé, une mise au point très drôle avec des petites frappes du lycée et deux duels impressionnant avec les principaux antagonistes, Chris Collins et Scott Adkins. Ceux-ci d'ailleurs ne sont pas uniquement des faire valoir. Wilson Yip leur offre quelques scènes où ils font toute la démonstration de leur talent et nous font réellement ressentir de l'inquiétude pour Ip Man. Le film enfin ne pouvait pas faire l'économie de scènes de combat avec Bruce Lee, scènes toujours risquées et ici parfaitement réussies grâce à l'interprétation juste de Danny Chan. 

La troisième qualité du film concerne l'ambition du propos. Wilson Yip nous raconte trois histoires. La première c'est celle de la transmission, de l'héritage entre Ip Man et son fils. Alors que le maître est adulé, a formé de nombreux enseignants, il échoue dans son rôle de père. Incapable d'entrer en communication, c'est son voyage aux Etats-Unis et sa rencontre avec la fille d'un maître de Kung-Fu en rébellion également avec son père qui lui ouvre les yeux. Le film tisse un intéressant dilemme entre Ip Man, son fils spirituel Bruce Lee et son fils naturel. La seconde  histoire s'intéresse à l'usure du temps sur les corps, prémisse de la mort. Donnie Yen en effet porte le poids d'un deuil qu'il n'a jamais surmonté, le poids du temps qui affaiblit son corps et celui de la mort qui approche. Tout le film insiste sur le poids de l'âge, des blessures qui ne guérissent pas, de la force qui décline. On apprécie tout le sens du terrible combat où les anciens maîtres sont terrassés par les marines. Donnie Yen n'est plus le maître invincible mais un homme qui sent qu'il est temps de passer la main. Toutes les scènes avec Bruce Lee sont excellentes.

Le film aussi veut parler d'intégration et de tolérance dans toute la complexité de ces notions. Et malheureusement il n'y arrive pas totalement. En effet l'intrigue veut insister sur deux axes : le rejet dont sont victimes les Chinois en Amérique et le rejet que manifestent les Chinois envers les étrangers. La première partie du film  réussit à tenir l'équilibre en insistant certes beaucoup  sur les insultes, les tracasseries dont sont victimes les Chinois mais aussi en posant le conflit interne à la communauté chinoise entre les anciens et Bruce Lee, celui-ci se voyant reprocher d'enseigner à des non-chinois. Mais très vite le film est rattrapé par un discours un peu trop patriote et va insister uniquement sur l'intolérance des Américains en grossissant inutilement le trait (notamment lors de la rivalité au sein des cheerleaders). Cela conduit le réalisateur a délaissé dans sa seconde moitié le personnage de Bruce Lee et à ne pas réellement résoudre son intrigue. C'est dommage car avec plus d'audace le film aurait pu s'achever sur un face à face riche de sens entre le militaire replié sur lui-même et Bruce Lee le maître qui a choisi de s'ouvrir aux autres.

Il n'en reste pas moins que cet Ip Man 4 est une conclusion réussie. Spectaculaire, il dégaine la carte de l'émotion et de la réflexion pour offrir un ultime hommage à cette figure populaire de la culture chinoise.

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