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Kuru critique

Famille et épouvante

Tetsuya Nakashima n'est peut être pas encore très connu du grand public occidental mais au Japon et dans les festivals ses films font mouche. De souvenirs de Matsuko au World of Kanako en passant par Confessions , son style s'est affirmé : coloré, déjanté, parfois psychédélique mais aussi noir, clinique. Au travers d'histoires originales ou tirées de manga, romans, il offre des films coup de poing autour  vengeance (Confession), de drames humains (souvenirs de Matsuko), de manipulation (Wold of Kanako) magnifiés par un montage d'orfèvre et un sous texte riche. C'est avec beaucoup de curiosité et d'attente que son nouveau film Kuru a été appréhendé. 


Hideki est un homme à qui tout sourit. Dans son travail, il réussit et fait l'admiration de ses collègues et amis. Son mariage avec Kana a été somptueux et leur jeune nouveau née le comble. Preuve de ce bonheur, son blog qu'il tient quotidiennement et qu'il nourrit de sa vie de jeune papa. Mais les apparences cachent de lourds secrets. Et quand une force étrange remontant du passé jette le trouble dans la vie d'Hideki, celui-ci sombre peu à peu dans la peur. Le couple semble au bord de l'effondrement alors que des événement surnaturels menacent leur fille. 

Kuru c'est d'abord l'intrusion de Nakashima dans le genre horrifique car  comme l'indique les bande annonces et la première scène du film, nous allons plonger dans l'épouvante. Mais pas à la mode hollywood (malgré ce que peut laisser supposer le titre anglais du film It Comes). Nous sommes totalement dans un univers asiatique où la menace est longtemps suggérée : des ombres, des regards, des sons. L'ensemble teinté de shintoïsme, de spiritualité. Mais à la différence de nombreux films d'horreurs japonais, Nakashima y rajoute sa touche. Jusqu'au dernier tiers du film on doute réellement de la réalité de la menace. Même la fin peut laisser un doute. Finalement ne serait-ce qu'une illusion, une supercherie, une projection de nos malaises. Avec toute sa fougue Nakashima porte son projet jusqu'au bout continuant de napper son histoire de mystères : il n'y a pas de réelles réponses et seul le spectateur attentif trouvera les éléments expliquant l'arrivée de cette étrange force. 

Le plus surprenant dans ce projet c'est que la partie horrifique n'intervient que tard dans le film. Elle est même secondaire dans l'intrigue. En effet c'est un prétexte pour parler de la société japonaise et de la société moderne également. La figure du père est terriblement égratignée : derrière le verni, la réalité de la famille japonaise et surtout de la place de la femme. Le film est subtilement féministe en pointant du doigt la pression sociale subie par les mères, la répartition des rôles, la difficulté d'être mère célibataire. Nakashima comme Kore Eda dans Une affaire de famille repose la question des liens familiaux. Ici c'est le "couple" Nana Komatsu, Okada Junichi qui joue le rôle de la vraie famille, celle du coeur. Incapable d'avoir un enfant, ils sont pourtant plus à même d'offrir à la fille un cadre. Car le film est dur avec l'épouse d'Hideki, devenue mère sans le vouloir. Si l'on prend de la distance le film dresse une satyre de notre société contrainte à davantage d'apparences à travers les réseaux sociaux. Un bon père doit exposer sa réussite, l'enfant doit répondre à toutes les règles.  

Le film recèle en outre d'immenses qualités d'écriture. Le scénario est intelligent, demande beaucoup d'attention pour déterminer qui est le démon. Ceci se voit dans l'excellence du jeu d'acteurs. Il n'y a pas un mais quatre personnages principaux : le mari, l'épouse, Nana Komatsu et Okada Junichi. Chacun prend la main pour faire avancer l'histoire : chronique d'un père de famille modèle, d'une épouse au bord de la crise de nerf, de deux outsider sont on se demande si ce ne sont pas des arnaqueurs. Dire qu'ils sont excellents serait un euphémisme. La palme revient à Nana Komatsu méconnaissable avec ses tatouages, sa coiffure blonde, ses vêtements "destroy" et extrêmement touchante en jeune fille qui se découvre l'âme de mère.

Un film de Nakashima ne serait pas réussi sans une mise en scène échevelée. Et à nouveau le film nous surprend. Car la première moitié le film  est calme avec quelques moments de pure horreur. C'était pour mieux nous réserver un final dingue : une séquence d'exorcisme en extérieur et dans l'appartement servie par des décors magnifiques, une mise en scène nerveuse et d'excellents effets spéciaux.  Sans oublier une musique forte, oppressante faite de chants, de tambours... 

Kuru est un spectacle à la hauteur du talent de son réalisateur. Pourtant il lui manque quelque chose pour égaler son chef d'oeuvre Confession. Peut-être est-ce la multitude de pistes (les liens entre l'exorciste et le pouvoir, l'explication claire de la menace) et la volonté de ne pas les expliquer totalement qui crée ce sentiment d'incomplétude ?


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