Sunao Katabucho est un réalisateur qui
aime prendre son temps : 8 longs métrages en 20 ans de
carrière. Il a été l’assistant des plus grands : Miyazaki
et Otomo. A l’ombre de ces géants il a développé son style et
ses thématiques centrés autour de personnages féminins et
d’histoires relues sous le prisme de ces héroïnes. Son dernier long
métrage n’aurait pourtant pas vu le jour sans un financement
participatif. Une incongruité au regard du succès public (2
millions d’entrées au Japon) et critique (prix du jury au festival
d’Annecy). Derrière un titre très poétique, il nous livre un
petit bijou de l’animation.
Le film adapte l’excellent manga de
Fumiyo Kono sorti en 2007 au Japon. L’intrigue suit deux histoires
entre 1930-1945. D’abord celle de Suzu jeune fille d’Hiroshima,
rêveuse, dessinatrice, raconteuse d’histoire qu’un mariage
arrangé conduit à s’installer dans la famille de son époux à
Kure, base militaire d’importance de la marine impériale. Elle
doit s’adapter à cette nouvelle famille, gérer au mieux les
tâches domestiques, se faire accepter malgré ses étourderies et
apprendre à aimer celui qui lui a été imposé. Ensuite celle du
Japon en guerre évoquée à travers l’évolution de
l’environnement dans lequel Suzu vit : une base qui
progressivement s’anime, devient cible des bombardements américains. Toute la vie de la famille se transforme : contrôle
militaire, alertes, morts… Pour la petite Suzu, les choix
deviennent compliqués : rester dans sa belle famille ou
retourner voir les siens dans une Hiroshima épargnée par les bombes
?
La première qualité du film concerne
son écriture. Par l’abondance de détails, il lie grande et petite
histoire. Une émission radio, la silhouette d’un navire font
percevoir la lente plongée du Japon dans l’abîme. Le film nous
dépeint le quotidien de cette population en guerre :
rationnement, contrôle, propagande… En parallèle la vie de Suzu
est brillamment mise en scène. Les tâches quotidiennes de la jeune
épouse – notamment la difficile tâche de cuisiner en temps de
pénurie – sont minutieusement décrites. Avec ingéniosité et
humour, Suzu délivre des plats succulents en exploitant la richesse
de la nature. Scènes admirables, légères, drôles qui permettent
de lier la vie quotidienne et la violence de la guerre. Il faut aussi
évoquer la dimension de conte de tout l’histoire. Le film dans sa
fin nous laisse un doute : était-ce un rêve ? Était-ce
le destin de Suzu de quitter les siens ?
La seconde force réside dans le choix
du personnage : une femme. Trop souvent oubliée des grands
récits sur la guerre, le film nous livre un étude douce amère de
la place des femmes dans le Japon avant 1945. Leur condition de vie
est dure : devoir familial, mariage arrangé, pression sociale,
enfance courte. Le film est ouvertement féministe sans tomber dans
l’écueil du plaidoyer ou de l’anachronisme. On aime par exemple
les scènes où les deux jeunes mariés se découvrent des sentiments
et évoquent les difficultés de l’intimité dans un Japon où les
générations cohabitent. Grande force, autour Suzu gravitent des
femmes aux vies complexes, atypiques (la geisha, sa belle sœur…).
De même le film évite de dresser des portrait d’hommes
caricaturaux : l’évolution du l’époux est belle
contribuant à donner de la douceur au film.
Douceur renforcée et c’est la
troisième qualité par les choix esthétiques. Katabuchi a choisi
une animation et un dessin très réaliste. La reconstitution est de
toute beauté : les intérieurs des maisons, les villes, le port
de Kure, les épaves. Une attention toute particulière est apportée
à la peinture de la campagne rappelant à quel point le Japon
d’avant 1945 était rural. Les paysages sont de toute beauté
notamment à travers l’évocation de la richesse des plantes
poussant dans les jardins : un hymne à la nature japonaise. Il
faut aussi saluer le choix de dessin simple, aux tons pastels,
proches souvent de la peinture. Une impression renforcée par les
longues scènes contemplatives. L’ensemble servi par un excellent
environnement sonore : musique et bruits notamment celui des
alertes.
La dernière qualité concerne la
violence du film. Elle arrive progressive et vous saisit sans vous y
attendre. Une scène fait tout basculer qui n’est pas sans rappeler
le tombeau des lucioles. L’horreur des bombardements apparaît dans
le paysage dévasté de Kure. Et le pire est à venir lors de
l’évocation d’Hiroshima : le nuage et les radiations. Très
poétique, le retour de Suzu est glaçant. Et pourtant Katabuchi
choisit d’insister sur l’avenir : la vie et conclut son film
de façon beaucoup moins dépressive que le tombeau des lucioles.
Dans un recoin du monde c’est
la rencontre du tombeau des lucioles et
de mes voisins les Yamadas.
Chronique d’un Japon traumatisé à travers les yeux d’une
rêveuse, fable familiale portée par une héroïne emplie de
créativité et de tendresse, ce film révèle l’incroyable
dynamisme de l’animation nippone.
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