A redécouvrir

Manhunt

Le fugitif à Osaka
John Woo revient au polar. Depuis Paychek, le réalisateur hong-kongais avait abandonné son genre fétiche pour s'atteler à de grandes fresques monumentales : Les Trois Royaumes, Le Règne des assassins ou l'étonnant et touchant The Crossing. Des films immenses, réussis où il parvenait à concilier son amour des scènes d'action avec des séquences de pause, de méditation. En 2017 sort sur les écrans, Manhunt un fils d'action réalisé au Japon. Est-ce pour échapper aux foudres de la censure ? ou pour à nouveau sortir de son domaine de confort et tenter l'expérience nippone ? Un projet très attendu dont le produit final laisse perplexe.


Pour incarner ses personnages, John Woo s'est entouré d'un super casting pan-asiatique. Zhang Hanyu vu notamment chez Tsui Hark ou Zhang Yimou, Masaharu Fukuyama acteur fétiche de Kore-eda, Jun Kunimura, Naoto Takenaka "deux gueules " du cinéma japonais depuis près de 30 ans, la star sud-coréenne Ha Ji-won et sa propre fille Angeles Woo, sans parler de seconds rôles cinq étoiles comme Tao Okamoto. L'histoire inspirée d'un roman japonais place tout ce beau monde dans une histoire de chasse à l'homme à Osaka. Du Qiu (Zhang Hanyu à l'écran) exerce le métier d'avocat auprès de la puissante compagnie pharmaceutique japonais Tenjin à qui il a fait gagner quelques années plus tôt un important procès. Mais il est temps pour lui de quitter la firme et de retourner en Chine. Or la nuit suivant son annonce, il se réveille à côté du cadavre d'une collaboratrice. La police japonaise l'accuse de meurtre. Il lui échappe mais doit maintenant fuir constamment d'autant plus que les Japonais lancent à sa poursuite un inspecteur obstiné, indépendant joué par Masaharu Fukuyama. Très vite le chasseur et la proie comprennent qu'une manipulation de grande ampleur se joue.  

La première étrangeté du film consiste dans son scénario vu et revu d'un avocat piégé par sa propre firme avec son lot de trahisons, de flics corrompus et de projet secret. On s'attend à un thriller aux révélations étonnantes pour se retrouver dans une trame à mi-chemin entre soleil levant et Le Fugitif. Une histoire simple presque prétexte comme John Woo savait en jouer dans les années 1980-1990 mais qui peine à totalement décoller malgré des sous-intrigues qui auraient mérité d'être développées. La deuxième étrangeté concerne certains dialogues (pas aidés par la V.F ou la version anglaise) extrêmement maladroits parfois, vains ou vides à la limite de la parodie. Ce qui est étonnant c'est l'alternance entre de très bonnes punchlines (entre l'inspecteur japonais et son assistante) et des échanges creux (entre les personnages féminins lors de la dernière scène). Le troisième étrangeté concerne enfin le déséquilibre permanent de ce film entre des moments très bien filmés, rythmés, des scènes d'action dynamiques et des moments gênants notamment les effets numériques (la poursuite en jet ski) ratés.  L'acting oscillant en permanence entre la justesse et sur le sur-je, des explosions de gunfight soudaines, donnent l'impression que John Woo se caricature, multipliant les auto-citations (le vol de colombes, le flic et le fugitif faisant cause commune). 

Et pourtant il se dégage de ce film une joie, un cri d'honnêteté révélés dès la première scène du film autour d'une discussion nostalgique sur les vieux films. John Woo a décidé de nous livrer un film à l'ancienne autour d'une duo de personnages badass, charismatiques. Et le scénario devient prétexte à ce que John Woo sait faire de mieux dans la seconde moitié du film. D'excellentes scènes d'action référencées, lisibles, créatives. Ainsi une maison de campagne devient le théâtre d'une attaque en règle par une bande de tueurs dans une séquence hommage à Syndicat du crime 2. De même la première poursuite entre le flic et le fugitif reprend des moments de Volte Face.  Le final dans le laboratoire est un clin d'oeil à l'apothéose apocalyptique de A toute épreuve. Des hommages où John Woo à 70 ans passé étale toute sa palette de mise en scène : glissades avec deux armes à feu à la main, utilisation totale du décor, jeu avec les escaliers... Le tout avec un souci d'exploiter les ressources du numérique et de s'appuyer sur un montage énergique.  De même la ville d'Osaka peut aussi remercier John Woo de l'avoir très bien filmé, que ce soit par les plans aériens ou par la scène de festival. Il se dégage un immense sérieux et respect du cadre japonais. 

Deux qualités qui rejaillissent dans l'interprétation de chacun des acteurs. Il se donnent tous au maximum, que ce soit dans l'extrême virilité, le mélodrame, la comédie. John Woo assume un film naturellement déséquilibré, en décalage avec son époque assumant des fulgurances baroques, refusant des compromis artistiques. Peut être aurait-il dû n'être que cela et se débarrasser des artifices de la cohérence scénaristique...  C'est pourquoi sans être un grand John Woo, Manhunt reste un divertissement anachronique dans sa facture mais profondément honnête.


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