Yume wo ataeru

Chute libre

Il y a 13 ans, la famille d'Abe Yuko déménagea de Tokyo pour s'installer à Akihama, une petite ville à l'Ouest du Japon face à la mer de Chine. Ce nouveau départ semble apporter sérénité à sa mère Mikiko et à son père Toma, français installé au Japon. En effet Mikiko travaille dans un service de livraison et d'aide auprès des personnes âgées et isolées tandis que Toma joue du piano dans l'église de la ville et aide la communauté. Une harmonie entoure la jeune Yuko, enfant espiègle, souriante et joyeuse. Jusqu'au jour où à la demande de ses patrons, Mikiko accepter de poser pour un photographe préparant la future brochure de l'entreprise. Or celui-ci repère la jeune Yuko et propose à sa mère de la présenter à un casting d'enfants modèle. Si la mère est intéressée, le père est sceptique. Cependant celui-ci accepte et Yuko âgée alors de 5 ans, passe castings sur castings, devenant l'égérie d'une grande marque de produits laitiers puis une star des agences de marketing. Elle s'installe à Tokyo, enchaîne les publicités, les émissions télévisées. Sa vie se confond avec son image, surveillée à l'école, coachée par sa mère devenue son agent. Ses relations avec ses proches se tendent progressivement. Alors que son père et sa mère divorcent, que Murano l'agent qui la suit, la protège depuis ses 5 ans va se marier, son petit ami diffuse sur internet une vidéo de leurs ébats amoureux. Le scandale médiatique est énorme, abandonnée, traquée, sa vie de rêve vire au cauchemar. 

Voici un drama de quatre épisodes qui va faire parler de lui. C'est une très belle réussite portée par un casting cinq étoiles : Nana Komatsu, Rinko Kikuchi, Joe Odagiri, Tasuku Nagaoka et la jeune Kanon Tani. Le seul point faible de la distribution est le personnage de Toma, sensé joué un français mais qui se débrouille mieux dans les passages en japonais qu'en français. Un détail tant les acteurs sont excellents avec une mention spéciale pour la jeune Kanon Tani prodigieuse en Yuko enfant. On mesure tout le travail de direction.

Le drama propose plusieurs niveaux de lecture extrêmement intéressants qui s'entrecroisent habilement. Il s'agit d'abord d'une satyre féroce du show business et du monde des médias japonais véritable machine à broyer de la star en devenir, en particulier les femmes renvoyées à l'image de la femme enfant, femme fragile, femme fantasme. La concurrence est terrible et le dieu audience pousse les producteurs à toutes les bassesses (les funérailles). Le choix de Nana Komatsu, icône de la mode, de la musique donne une profondeur à l'histoire, elle qui a dû passer sous les fourches caudines des agences et boîtes de marketing. Le drama pose une question : qui pense au bonheur de ses enfants stars, adulés un jour, rejetés en lendemain, remplacé par un/une nouvelle postulante plus jeune, plus malléable. A ce titre le 1er épisode centré sur la jeune Yuko est terrible sur les dérives de l'exploitation des enfants stars. Le drama tire aussi à boulet rouge sur les médias, la recherche du scoop, de l'information choc aussi avilissante soit elle. Tout l'épisode final de l'émission télé fait froid dans le dos par son réalisme clinique. 

Le drama offre trois autres niveaux de lecture subtilement amenée. Il y a d'abord le rapport mère  fille où la magnifique Rinko Kikuchi vit une carrière de star par l'intermédiaire de sa fille au risque de la perdre et de détruire sa famille. Leur relation devient explosive. Il y a aussi la dimension réseau social exposition de la vie intime qui forme (ou déforme) une partie de la jeunesse. La gratuité du geste du petit ami, l'acceptation aussi de Yuko (suicide médiatique ?) questionnent tout le long de la série. Il faut aussi remarquer la dimension symbolique de l'histoire : celle du père, un étranger qui cherche sa place au Japon (comme sa fille dans le show business) ; celle de la petite ville face à la métropole tokyoïte ; celle des hommes face aux jeunes femmes... 

Excellente surprise donc que cette série dramatique très bien réalisée et écrite. Satyre terrible (la fin !!) en forme d'avertissement sur la face cachée du star système.