Hirozaku Kore-eda aime parler de famille, de relations entre les générations, d'engagement des adultes et du monde des enfants. Dans une affaire de famille, il approfondit sa réflexion en forme de quasi synthèse de ses films précédents en partant d'un postulat : peut-on être amoral dans sa vie sociale et se révéler un parent remarquable ?
Une famille presque ordinaire
L'histoire nous plonge dans le Tokyo des invisibles, des losers, des marginaux, celle de la famille de Osamu Shibata. Travailleurs intérimaire sur les chantiers, le chef de famille peine à joindre les eux bouts. Alors avec son fils Shota il vole à l'étalage, un duo parfaitement rôdé. Le reste de la famille n'est pas en reste. Nobuyo la mère travaille dans une lingerie et ramasse tout ce qui traîne dans les poches des vêtements, Aki Shibata la "tante" travaille la nuit dans un peep-show, la grand mère fait tourner la maison avec sa maigre pension et utiliser le chagrin du fils de son premier mari pour chaque année lui soutirer quelques milliers de yens.
Un quotidien gentiment hors système qui est bouleversé lorsque de retour d'une de leurs expéditions Nobuyo et son fils ramènent Juri, la petite fille des voisins , abandonnée chez elle. Les shibata lui offrent un repas chaud et un gîte pour la nuit, avant de découvrir que l'enfant subie des violences. Malgré leur pauvreté ils décident de la garder chez eux et font une place à ce nouveau membre.
De l'autre côte du miroir
Une affaire de famille met d'abord en scène une étonnante cellule familiale. Ils n'ont rien, vivent à 6 dans une minuscule petite maison, les enfants dorment dans un placard, la "tante" dort avec la grand mère. Leur univers c'est un immense bazar où se croisent des souvenirs, des objets inutiles, des déchets (la scène du tri !!!!). Et pourtant dans cette vie atypique émerge de la vie, débordante, quasi organique. Chacun s'est aggloméré à l'autre et a fini par bricoler une drôle de famille vivant au jour le jour, où les enfants ne vont pas à l'école, où tout manque si ce n'est l'amour. Un amour qui passe par les gestes, les moments de convivialité mais pas par les mots car personne n'appelle le couple de parent "papa" ou maman".
Le film aussi à l'image de la dualité des saisons qui le rythme est double. D'un côté toute la première partie commence comme une comédie (le vol à l'étalage) et se développe comme un conte de noël autour de la famille non plus imposée mais choisie. L'enfant recueillie mutique, maigre s'éveille, joue, rit. Ses parents biologiques ne signalent pas sa disparition avant plusieurs semaines. Et quand un avis de recherche est lancé par les autorités, la mère Shibata répond : "ce n'est pas un enlèvement puisque nous n'avons pas demandé de rançon". Un vrai décalage dans les comportements que ce soit par rapport au deuil, à la mort, au vol, à l'école.
Tous fonctionnent dans un univers totalement inversé par rapport au reste de la société, à l'ordre des choses. Kore-eda nous permet d'aimer ces anti-héros qui restent des personnes humaines généreuses conduites à enfreindre les lois par manque de chose. Mais chez Kore-Eda rien n'est simple et cet hommage évolue dans un film beaucoup plus sombre à la limite du thriller. Car la famille cache un secret très lourd que va révéler un incident. Et le spectateur effaré découvre la raison d'être de cet isolement, de cette crainte qui saisit le jeune garçon quand vient un fonctionnaire de la mairie. Les mots, les non-dits distillés depuis le début de l'intrigue viennent dès lors approfondir la thématique du film.
Car dans son film Kore-Eda pousse encore plus loin son incursion dans l'abîme noir de la société humaine. Comme dans Nobody knows il égratigne les parents indignent rejetant leurs enfants, comme dans tel père tel fils, il questionne la difficile place du père japonais. Dans une affaire de famille, il va en plus s'en prendre à l'ordre public : quel sens y-a-t-il à vouloir rendre une fille à des parents irresponsables ? Il n'enjolive pas non plus son improbable famille dont les secrets portent en germe sa futur faillite. Pourtant le film n'est pas noir car si les adultes souffrent, les jeunes enfants en sortent grandis. Le garçon a trouvé un père, non biologique mais de coeur, la jeune fille a appris à se méfier des faux semblants.
Un film fort porté à nouveau par des acteurs excellents. Comme souvent chez Kore-Eda, les enfants sont fabuleux de justesse, d'émotion, de sincérité. Quant aux adultes, c'est un sans faute que ce soit le père, la grand mère et même des seconds rôles comme le commerçant. Avec sa mise en scène très classique (plus que dans son précédent film), Kore-Eda frappe juste et fort jouant sur la symbolique des saisons pour explorer l'univers de la famille. Une palme mérité qui consacre un grand réalisateur japonais.
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