Portrait croisé l'empereur Wang Mang et Mao

Wang Mang communiste avant l'heure ?

Entorse à la règle, ce n'est pas une histoire parallèle entre Orient et Occident qui sera contée ici mais un voyage dans le temps. Si Mao l'empereur rouge est connu pour sa démesure, ses échecs et son unification de la Chine, l'empereur Wang Mang reste méconnu du grand public occidental. Doit-on d'ailleurs l'appeler empereur ou plutôt usurpateur ? Les historiens contemporains de son règne et de sa chute n'ont pas eu de mots assez durs pour condamner ce "dragon qui a voulu voler trop haut et s'est brûlé les ailes" Bernard Brizay. 

Le personnage n'a cessé de diviser les politiques et les historiens jusqu'à une période récente. Clyde Sargent Histoire de la dynastie Han souligne "la modernité surprenante", Hu Shi "L'emprereur socialiste d'il y a 19 siècles", Rob Tye va plus loin et insiste sur la radicalité de son programme politique et son étendue étonnante ; à l'inverse Hans Bielenstein Wang Mang, la restauration de la dynastie des Han et des Hans postérieurs préfèrent parler d'un empereur épris de confucianisme, Homer Dubs «Wang Mang et ses réformes économiques" souligne la banalité des réformes. Regardons de plus près l'énigmatique parcours de cet empereur usurpateur.

Intrigue de cour et mandat céleste 

Usurpateur, Wang Lang l'est assurément. Né en 45 avant Jésus-Christ, il est issu d'une famille aristocrate introduite auprès de la dynastie impériale des Han. Elevé dans lecture et l'application des principes confucéens (modestie, piété filiale, loyauté), il hérite du titre de grand maréchal détenu par son oncle. Poste clé, il lui permet de devenir une figure respectée de la cour à un moment où la dynastie des Han est fragile. L'empereur Han Chengdi plus intéressée par ses concubines que les affaires de l'Etat laisse le clan Wang et sa mère l'impératrice Wang (tante de Wang Mang) s'enrichir au dépend de l'empire. 

Lorsqu'il meurt sans héritier (d'abus d'aphrodisiaques écrivent les chroniqueurs), la roue semble tourner car le jeune empereur Cheng Aidi favorise un autre clan. Mais ce dernier préfère son jeune amant et meurt jeune à 23 ans. La vieille impératrice reprend les rênes et confie à Wang Mang la régence du jeune empereur Pingdi âgé de 8 ans. Patiemment le régent bientôt premier ministre place ses hommes, élimine les clans rivaux, contraint son propre fils compromis dans un complot à se suicider. Le jeune empereur tombe alors malade (ou empoisonné) et meurt. Un enfant de deux ans est désigné souverain mais c'est Wang Mang qui gouverne avant de se proclamer lui même empereur 3 ans plus tard. 

Un grand bon avant avant l'heure ?

Pendant 14 ans (de 9 à 23 après J-C), il exerce le mandat céleste et entreprend un vaste programme de réformes. En politique d'abord il tente de moderniser l'administration multipliant les décrets pour imposer un premier impôt sur le revenu au taux de 10 % sur les marchands, fixant un nouveau calendrier ou tentant de contrôler la vente d'esclaves. 

En finance il change le cours de la monnaie , imposant la pièce  de cuivre contre celle en l'or, enrichissant ainsi le trésor impérial. Il ordonne surtout que l'Etat offre des prêts sans intérêts ou à taux réduit (3 %) aux plus pauvres afin de les aider pour les mariages, les enterrements. 

Il lance un programme de nationalisation de l'économie à travers six monopoles : sel, fer, alcool, pêche, bois et monnaie. Les terres non utilisées sont nationalisées. 

En matière foncière, il lutte contre les grands propriétaires en nationalisant les terres afin de les redistribuer aux paysans pauvres assujettis eux à l'impôt contrairement aux riches. Les riches, a écrit Wang," possèdent des terres par milliers de mu, tandis que les faibles n'ont nulle part où placer une aiguille". Les paysans ne sont pas propriétaires mais "locataires" terres dont ils n'ont que la jouissance. Il instaure le "puits-champs", le regroupement des terres autour de 8 foyers. Les terres s'organisent en carré de 9 parcelles avec un puits comme parcelle centrale. Chaque famille cultive sa parcelle et en conserva la récolte et cultive en commun la parcelle centrale. L'Etat prélève 10 % de la production. 

En politique étrangère il tente sans succès de stabiliser les frontières et de soumettre les turbulentes tribus du Nord. 

Crise finale et parallélisme étonnant

Ces  ambitions qui sont vite déçues. En effet, cn dépit d'une féroce répression des oppositions, les riches s'insurgent et la réforme foncière est abrogée trois ans plus tard. Dans le même temps, les Xiongnu, peuples nomades lancent à nouveau des raids contraignant l'empereur à lancer de coûteuses expéditions militaires. Enfin le fleuve Jaune entre à nouveau en cru, déborde et change son cour, "divague" pour établir son embouchure à plusieurs centaines de kilomètres au Sud. Il n'en faut pas plus pour que les révoltes populaires éclatent animées par le sentiment que l'usurpateur a perdu le mandat céleste. Lorsque Liu Xiu, cousin éloigné de l'ancien empereur Han, prend les armes, il fédère les rebelles et marchent en 23 après Jésus Christ sur la capitale. Wang Mang vaincu est décapité (son crâne est conservé dans le trésor impérial), sa fille est brûlée.

A lire ce tragique récit, les parallèles avec Mao sont étonnants. La lutte contre les fléaux ancestraux de la Chine (Bureaucratie, corruption, pauvreté paysanne) fut au coeur de leur programme de début de gouvernement. De même il y a des réformes "socialistes" dans ce que tente Wang Mang : partage des terres, prêts à taux faible, nationalisation des terres, absence de propriété privée. Des éléments encore présents aujourd'hui en Chine. La ressemblance la plus forte réside dans le système des "puits-champs", volonté d'imposer une égalité théorique. Mao ne fera pas différemment lorsqu'il lancera le Grand Bond en Avant et instaurera les communes populaires avec les résultats que l'on sait. D'ailleurs l'histoire souvent se répète. De graves inondations, une très mauvaise organisation et des incidents climatiques provoquèrent comme sous Mao des vagues de famines poussant les populations à se nourrir de l'écorce des arbres, d'herbes voire de cadavres, condamnant une réforme quasi inapplicable et largement utopique.