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Dear Etranger

Famille décomposée
Le thème de la famille est très présent dans le cinéma japonais souvent traité sous l'angle des rapports entre génération, de la paternité (Kore-Eda). La réalisatrice Yukiko Mishima choisit en 2017 d'adapter le roman Kiyoshi Shigematsu écrit en 1996, une histoire forte de famille moderne et de crise de la quarantaine.





Makoto Tanaka a 40 ans. Père d'une adolescente née d'un premier mariage qu'il revoit toujours, il s'est remarié avec Nanae et élève ses deux filles. Il essaie du mieux possible de construire une vie de famille normale, rentrant tard le moins possible et apportant toute l'affection possible aux deux filles. Quand Nanae tombe enceinte, les choses commencent à changer dans la famille. Et comme dans le même temps Makoto voit sa situation professionnelle se dégrader, les tensions s'accumulent.

Il fallait un regard de femme pour maîtriser cette intrigue lourde centrée autour de la figure du père, du père japonais. Celui-ci est pris dans un ensemble de contraintes terribles. Il doit être performant au travail, gagner bien sa vie, assurer le quotidien de sa famille. Une pression forte qui s'abat sur un Makoto, joué par un Tasanobu Asano prodigieux, qui est en plus d'être divorcé est encore très proche de sa fille, une situation que l'aînée des filles adoptives comprend de moins en moins. L'acteur est immense et porte littéralement le film. Il tente de garder la face malgré le fait qu'il vient de changer d'emploi : d'un poste de cadre, il devient manutentionnaire dans des nombreux entrepôts de son entreprise. Et la réalisatrice se permet d'égratigner à la fois le monde du travail au Japon et la déshumanisation des nouveaux emplois où la cadence est reine, où l'humain est remplacé par une voix robotisée annonçant les commandes (une vraie satyre du modèle Amazon). Il est surtout très fort dans son rapport aux enfants : sa fille naturelle, ses filles d'adoption. Comment faire comprendre que les liens du sang et les liens de l'émotion sont aussi forts ? Comment garder son calme face à la tempête qui s'annonce ?  L'autre figure paternelle c'est celle du nouveau mari de son ex-femme et du père biologique des filles de Nanae : l'un admirable, l'autre plus critiquable. Et pourtant la réalisatrice pose la question centrale : doit-on priver les enfants de voir leur père biologique même s'il est peu recommandable ? doit-on blâmer un homme pour ne pas être à la hauteur de son rôle de père ?

L'autre regard de l'intrigue se porte sur les enfants de ces familles décomposées et recomposées. Admirablement interprétées, les trois filles partent dans trois directions. La petite fille qui vit parfaitement cette nouvelle situation, n'ayant que peu connu son père. L'aînée qui entre en crise, déstabilisée par ce nouvel enfant et qui décide de faire vivre un enfer à ses parents, idéalisant son géniteur ; l'autre fille celle de Makoto plus proche de son père que de son beau-père jusqu'à une magnifique scène à l'hôpital. Un final touchant par les révélations, les évolutions et finalement l'écoute apportée aux enfants qui demeurent les "victimes" des errements émotionnels des adultes. C'est une nouvelle famille qui émerge où l'autre ne devient plus l'étranger mais la source d'une nouvelle histoire ou d'un passé révolu

Dear Etranger évite l'emphase du sentimentalisme pour se focaliser sur l'humain. Chaque personnage, même celui de l'ex-père, en ressort grandi. Une belle histoire forte sur le difficile équilibre des familles recomposées.




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