A redécouvrir

Children of the dark

De l'autre côté du miroir
2008, le festival cinématographique international de Bangkok déprogramme de sa sélection le film japonais au motif que son propos n'est pas approprié à la société thaïlandaise. Pourquoi l'oeuvre de Junji Sakamoto a-t-elle fait polémique, a-t-elle eu un écho critique faible et connu un échec commercial ? parce qu'elle adapte le roman hyper réaliste dénonçant le commerce des enfants en Thaïlande. Retour sur un film coup de poing, brut, sans concession qui aurait dû avoir le succès d'un blood diamond ou d'un slumdog millionnaire.



Nanbu est un journaliste japonais vivant à Bangkok, Keiko une jeune militant rejoignant une O.N.G thaïlandaise, Yoshida un apprenti photographe et Napapon la responsable d'une O.N.G de protection de l'enfance.  Alors que Nanbu enquête sur un trafic d'organes entre le Japon et la Thaïlande, il découvre l'horrible réalité : la vie d'un enfant japonais est sauvée par le sacrifice de celle d'un enfant thaïlandais. Dans le même temps Napapon et son O.N.G reçoive quelques mots griffonnés par une enfant disparue de son quartier et forcée à se prostituer. Avec le journaliste il décide d'aider ces enfants de l'ombre et de faire éclater la vérité. 

Quel film glaçant, viscéral, dur et réaliste. Jungi Sakamoto a choisi une mise en scène classique, proche du documentaire pour nous plonger dans l'univers sordide de l'âme humaine. La longue séquence d'introduction, sans dialogue, donne le ton. Une pièce, une cellule dans une ville. Des enfants allongés sur des matelas sordides. Un femme entre, choisit une fille et referme la grille.  Une voiture s'arrête dans un village pauvre et isolée. Un homme s'arrête, achète un garçon et repart à la ville. Sans un mot en 4 minutes l'univers est en place, celui d'enfants marchandises, d'un système bien rôdé, clinique, d'un supermarché de la honte. Le film va dès lors fonctionner à deux niveaux. Le premier c'est celui de la plongée dans celui de la prostitution enfantine. Et il ne prend pas de gants pour nous montrer ces hôtels de passe repère de pédophiles issus de tous les pays riches. Il dresse une galerie de portraits de ces prédateurs sexuels : quelques scènes sont très violentes même si la réalité est encore pire. On frissonne devant ce client violant l'enfant tout en lui demandant s'il va à l'école. Le film dénoue tout le commerce construit autour de l'abus d'enfants : les passeurs, les intermédiaires, les mafias, les policiers corrompus, les parents. Il montre de manière cru comment ces enfants sont dressés, déshumanisés.  Mais ce qui est fort c'est que film tape surtout sur les étrangers, ceux qui stimulent l'offre. Et le Japon en prend pour son grade. 

L'autre versant du film ce sont les deux enquêtes. Celle du journaliste cherchant à  dénoncer le commerce d'organes ici du coeur, ce commerce de la peine (celle des parents japonais voulant sauver leur enfant), cette amnésie volontaire (la mère), ce commerce du mensonge (des médecins, des intermédiaires).  Et sans révéler la fin, le film est dans la grande tradition du cinéma japonais : pas de happy end. Il y a aussi celle de l'.O.N.G cherchant à sauver cette fille malade dont les jours sont comptés. Finira-t-elle dans un sac à ordure dans une décharge ? A travers ces enquêtes le film parle aussi de rédemption, de reconstruction. Que deviennent en grandissant ces enfants abusés et violés ? pourquoi le journaliste veut-il à ce point écrire son article sur le trafic d'organes mais est gêné par la dénonciation de la prostitution ? pourquoi la jeune militante thaïlandaise n'apprécie-t-elle pas la jeune japonaise ? tous ces fils scénaristiques se rejoignent lors d'un final palpitant, surprenant, pessimiste mais aussi une leur d'espoir. 

Niveau réalisation c'est un film classique dans, son rythme sa lumière, ses cadres. Le montage se révèle en revanche très astucieux pour distiller les nuances d'émotion (le regard du jeune enfant avant l'opération, le sourire du passeur), les nombreux flashbacks et surtout les détails qui construisent l'ensemble des révélations finales. Il y a quelques scènes très travaillées : notamment celle des clients alignés par la police contre un mur, un wall of shame terrifiant, la laideur de l'être humain. Il faut souligner pour ce film l'excellence du casting nippo-thaïlandais, la star Aoi Miyazaki entre autres. Les enfants jouent merveilleusement bien, ce qui est remarquable compte tenu la noirceur du propos. 

Poignant, triste, Children of the dark mérite d'être vu et revu.  Un hymne à l'innocence foudroyée par la cupidité.

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