A redécouvrir

Sekigahara

La voie de l'honneur


20 octobre 1600, l'armée de l'Est commandée par Tokugawa Ieyasu affronte les forces fidèles à l'héritier de la famille de Toyotomi conduite par Ishida Mitsunari. Au bout d'une journée d'affrontements sanglants et de trahisons, les forces loyalistes sont écrasées, les partisans du clan Toyotomi en fuite ou tués et une nouvelle dynastie de shogun va unifier pour plus de 250 ans le Japon. Cette bataille célèbre, l'équivalent de celle des falaises rouges, n'a jamais été totalement mise en scène au cinéma. C'est à ce défi énorme que s'attelle le réalisateur Masato Harada, un cinéaste chevronné connu à la fois pour ses adaptations de romans populaires et pour ses films historiques (The choice of Hercules, The emperor in August) proches dans leur mise en scène du documentaire. Pour ce projet il va mélanger les deux, choisissant d'adapter le roman historique Sekigahara de Ryotaro Shiba paru en 1966 tout en construisant une grande fresque historique réaliste sans prendre totalement partie. Des choix intéressants qui conduisent à un résultat surprenant et plaisant.

L'histoire n'est pas qu'une simple représentation de cet affrontement géant de 160 000 hommes. Elle se concentre sur le personnage de Mitsunari Shiba, depuis sa rencontre enfant avec le seigneur Toyotomi jusqu'à son choix de la fidélité absolue à cette famille. En suivant et simplifiant la trame du roman, Harada s'intéresse à l'itinéraire d'un vaincu, idéal de la fidélité mais dont la droiture se révèle fatale dans la conduite de la guerre. En face se dresse la figure de l'immense Tokugawa, stratège sans scrupules, habile manipulateur. Ainsi loin d'un hagiographie du vainqueur le réalisateur choisit de se mettre en empathie avec le magnifique perdant, samouraï à l'indéfectible fidélité, sensible de coeur. 

Ce premier choix scénaristique est enrichi par une construction en deux parties. D'abord pendant plus d'une heure et demi (sur les deux heures trente du film), le réalisateur nous brosse un formidable tableau des luttes politiques de ce Japon féodal, unifié un temps par Toyotomi mais qui n'a que rogner et non couper les griffes des grands seigneurs. Quand il meurt, la lutte pour le pouvoir reprend, un véritable théâtre d'opportunisme, de trahison et de manipulation brillamment mis en scène. Les décors, les costumes servent une narration complexe mais assez facile à suivre. Les personnages nombreux sont très bien caractérisés. On apprécie l'apparition à l'écran des ninjas, loin du folklore du cinéma d'exploitation : assassins certes mais surtout espion roi du déguisement. Le film prend une tourne réaliste qui rend plus crédible l'irruption de la petite histoire dans la grande autour de l'idylle platonique entre le seigneur et la femme ninja. Autre point très fort les femme du film, combattantes, conseillères, intrigantes qui apparaissent beaucoup plus résolues que les hommes, lâches, hésitants, confus. Une vraie prouesse que de faire sentir à la fois leur rôle secondaire dans la société et leur fonction essentielle dans l'intimité (la scène merveilleuse de l'habillage). 

La direction artistique, la photo et les acteurs sont excellents. Encore une fois les intérieures, les cités, la campagnes sont criants de vérité. Les paysage de ce Japon rural sont magnifiés : les forêts et les temps resplendissent. Quant aux acteurs, il n'y a rien à redire. Le face à face Junichi Okada (Mitsunari) Koji Yakush (the third murder) tient toutes ses promesse : d'un côté la fidélité aveugle au point d'en perdre toute lucidité, de l'autre un opportunisme total en phase avec un Japon qui est entrain d'abandonner ses illusions médiévales. Un duel sans concession ou l'injustice triomphe de la justice.


La bataille qui forme le coeur de l'histoire et la seconde partie du film n'arrive que tardivement et c'est peut être sur ce point que le film peut dérouter. En effet le réalisateur a choisi de nous montrer le chaos de l'affrontement, un combat déconstruit, atomisé en petits affrontements. Une volonté de réalisme, du temps qui passe, de la distance qui peut décevoir. Les décors, les armures, les paysages sont superbes mais il manque le souffle épique d'un Ran de Kurosawa ou la folie d'un John Woo sur Red Cliff. Focalisé sur l'homme, sur les choix étranges de Mitsunari guidé par son sens de l'honneur et non l'instinct tactique,  le film ne permet pas de saisir la dimension de la bataille. Il manque la grande scène qui finit de nous emporter. Harada a choisi de rester fidèle à un style de cinéma japonais très classique alors que l'on aurait aimé une folie visuelle digne d'un Takashi Miike.


Au final Sekigahara réussit là où l'on ne l'attendait pas. La bataille loi d'être ratée n'atteint pas le spectaculaire attendu. Mais c'est dans le drame authentique, l'histoire à l'échelle d'homme que le film accomplit un véritable exploit. 


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