A redécouvrir

Nick Leeson, Jérôme Keviel

Portraits croisés Rogue Trader : faites sauter la banque (I)
Ils sont nés à 10 ans d'intervalle et ont connu une carrière fulgurante dans le domaine du trading : Nick Leeson et Jérôme Kerviel. Deux surdoués de la finance qui se sont brûlés les ailes à la table des marchés dérivés et des effets de levier au point de faire trembler le système. Des pertes colossales, un phénomène médiatique (les deux ont fait l'objet de films très réussis) et un éclairage sur les pratiques opaques du monde de la finance. Entre Singapour et Paris, deux histoires parallèles illustration des vertiges du monde contemporain.

Nick Leeson

Singapour ne répond plus 
Nick Leeson britannique de naissance est engagé par la prestigieuse et vénérable banque Barings (fondée en 1762) . En 1991 à 24 ans il est nommé à Singapour pour diriger l'équipe de trading s'intéressant au marché des produits dérivés (dont l'emballement fut au coeur de la crise de 2008). Techniquement leur mission consiste à mener des ventes à terme, des ventes à découvert en misant sur un puissant effet de livrer. En simplifiant cela consiste à promettre de vendre dans le futur un bien que l'on ne possède pas au moment de la signature de la transaction en se mettant au préalable d'accord sur le prix de vente. L'idée pour celui qui initie cette vente c'est que la valeur du bien en question fluctue à la baisse entre la signature du contrat et la livraison ce qui permet d'enregistrer de forts gains mais aussi des pertes colossales voire infinies en cas de mauvaise prédiction. Si les débuts du trader sont prometteurs, les prises de risque commencent à coûter cher à la banque. Mais sans réelle autorité de contrôle au-dessus de lui, le trader engage des fonds toujours plus importants pour combler ses pertes et prendre des risques encore plus graves. Il engage ainsi les fonds personnels de clients et tentent un ultime coup de poker en misant sur une reprise du marché asiatique. Malheureusement le tremblement de terre de 1995 à Kobé transforme son pari en catastrophe. Tentant le tout pour le tout, il engage d'énormes fonds sur une éventuelle reprise du marché japonais en achetant pour 20 milliards de dollars  de contrat à terme mais l'effet de levier fonctionne à l'envers. Il achète très chers des produits qu'il revend bas  à cause de la chute de la bourse japonaise. Condamné à emprunter pour couvrir ses pertes, il creuse une dette de 860 millions de livres Sterling, deux fois les fonds propres de la banque. Elle ne survit pas à la crise et fait faillite en 1995. Elle sera rachetée la même année pour une livre sterling symbolique par la banque néerlandaise ING. Pour Nick Leeson la suite est rocambolesque. Il tente de fuir pour l'Allemagne en passant par la Malaisie mais il est arrêté en Allemagne et renvoyé à Singapour où il est condamné à 6 ans et demi de prison et 70 000 livres Sterling d'amende. Il publiera deux livres sur sa vie et verra Ewan MacGregor l'incarner dans le film Trader en 1999. 

Le grand "spiel" 


En 2008 la Société Générale, vénérable banque fondée en 1864 fait une déclaration fracassante devant les médias. Elle vient d'enregistrer une perte de 4,9 milliards d'euros en pleine crise des subprimes. Une secousse terrible dont l'épicentre se trouve à la Défense à Paris même, autour d'un jeune trader "talentueux Jérôme Kerviel. Né en 1977, il intègre à 23 ans la banque et gravit rapidement les échelons pour intégrer en 2005 les équipes opérant directement sur les marchés. Il y prend rapidement ses marques usant des techniques de vente à termes, de vente à découvert, de façon très agressive pour maximiser ses profits. Il  amasse ainsi 1 milliard d'euros de gain en 2007.  Evidemment ses succès l'amènent à prendre toujours plus de risques pour améliorer ses chiffres et ses bonus. Profitant des failles du système et de l'absence de contrôle (qui songerait à mettre des bâtons dans les roues à une telle poule aux oeufs d'or) il va prendre des positions dangereuses : 50 milliards d'euros sont engagés, plus que les fonds propres de la banque. Une nouvelle fois l'effet de levier joue à la défaveur du trader. Alors qu'il a misé 30 milliards d'euros sur l'indice boursier Eurostoxx et 18 milliards sur le Dax en contrat à terme, le marché continue de baisser. Il achète cher ce qu'il revend bas. L'absence de véritable surveillance lui permet de continuer à prendre des risques en engageant des sommes toujours plus importantes. Quand la fraude ou plutôt la prise de risque est découverte, les effets sont désastreux. L'action de la banque perd 8 % en une journée et elle doit se résoudre à se débarrasser des contrats toxiques, à des prix moindres. Près de 5 milliards de dollars se sont envolés, un perte qui aurait pu être plus grande si les marchés avaient paniqué. Comme son prédécesseur de Singapour, Jérôme Kerviel a profité de l'opacité du système, de l'absence de contrôle et de l'appât de gain potentiellement énorme pour mettre en péril une banque.

à suivre

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