Isao Takahata nous a quittés le 5 avril 2018. L'homme co-fondateur des studio ghibli, considéré par ses pairs comme l'un plus grands, a transformé l'animation japonaise. Parce qu'il a influencé, formé, lancé de nombreux réalisateurs, parce qu'il a innové expérimentant sans cesse de nouveau style au point qu'il est difficile de définir un style Takahata, parce qu'il a contribué à construire une passerelle, avec Miyazaki, entre l'animation japonaise et européenne notamment française. Comment mieux entrer dans son oeuvre qu'en présentant son film le plus célèbre en Occident, Le Tombeau des lucioles.
Ce film a été un traumatisme pour tous ceux qui l'ont vu. Une oeuvre, belle, poignante adaptant la nouvelle semi-autobiographique d'Akiyuki Nosaka. Une lente montée en tensions jusqu'à un dénouement brutal. Sorti en 1988 le film est un pari osé pour le studio Ghibli. Adapter en long métrage un récit sur la second guerre mondiale, un drame humain, une histoire pour adulte, pour adolescent mais sûrement pas pour les enfants. En Occident où le cinéma de Disney vise les enfants, où le happy end hollywoodien est largement la norme, le film frappe fort et ceux qui le découvrent le prennent en pleine figure. Eté 1945, le Japon agonise. Sa marine défaite sombre, son armée se sacrifie dans des batailles pour l'honneur, le pays est matraqué par l'aviation américaine, ses plus grandes villes réduites en tas de cendres. Deux frère et soeur, Seita 14 ans et la petit Setsuko 4 ans se retrouvent orphelins après la mort de leur mère pendant le bombardement de Kobé et la disparition de leur père, officier dans la marine impériale. Il leur faut survivre, habiter chez leur tante qui peine à nourrir les siens et les traite comme deux bouches inutiles. Lentement rejetés, les deux enfants décident de se débrouiller seuls. Réfugiés dans un abri désaffecté, les deux enfants tentent de se réinventer une vie. Mais les difficultés s'accumulent : maladie, faim, manque de nourriture. Il faut se débrouiller alors qu'autour d'eux le Japon s'effondre et que nul ne leur vient en aide. Pour Setsuko il faut à tout prix sauver sa petite soeur. Seules des milliers de lucioles viennent la nuit illuminer leur quotidien.
Le film est brillant par sa construction. Comme dans la nouvelle il commence par la fin, dans un gare de Kobé où le jeune Setsuko prostré contre un murs de la gare agonise. En quelques plans le ton du film est donné. C'est un drame. Et Takahata va dérouler pendant 1h 30 une histoire d'amour, celle d'un grand frère et de sa soeur jetés dans le brasier d'une guerre absurde. Le ton du film est étonnant. Car Takahata n'abuse jamais d'effets larmoyants ni de couleurs excessivement tristes. Son oeuvre est belle, colorée, riche en moment intelligents et drôle. L'amitié familiale transcende la narration. On se prend à espérer, souhaiter que le début n'était qu'un songe. Comme dans les oeuvres du studio ghibli le trait est clair, limpide, propre. La campagne japonaise, la nature sont généreuses et rassurantes. La peinture de l'abri converti en maison respire la joie. Faire du feu, un envol de lucioles sont autant de moments de respiration. Takahata parvient à nous maintenir constamment dans un état d'incrédulité : et si... quelqu'un, quelque chose venaient interrompre l'inéluctabilité du drame. En toile de fond Takahata nous brosse le tableau d'un Japon qu'à l'époque (en 1988) peu en Occident connaissent, celui d'une population également victime de l'absurdité d'un pouvoir militaire et fasciste. Les attaques à coup de bombes incendiaires, les alertes, l'embrigadement des jeunes, les famines sont terrifiantes. Takahata montre aussi subtilement l'incroyable propagande du pouvoir militaire, la méconnaissance de la population sur le désastre à venir et aussi l'étonnante résilience de la population.
Résilience incarnée par le dessin et le destin de la petit soeur. Le détail du dessin est prodigieux : un clignement d'oeil, un battement de paupière, un sourire. Takahata expliquait qu'il lui aurait impossible de tourner cette histoire avec des comédiens réels tant ces minuscules modifications du visages sont essentielles pour sa narration. Car le récit dans les dix dernières minutes tombe dans le drame le plus dur, le plus simple : une agonie et l'impuissance. La musique un instant discrète revient nous hanter et nous achever. Dire que le Tombeau des Lucioles est un chef d'oeuvre relève de l'évidence, le film est plus que cela, un chant anti-guerre, un ode à la famille, un avertissement aux générations futures. 30 ans après il n'a rien perdu de sa force.
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