A redécouvrir

The Battleship Island

L'île de la discorde
En 2015, l'île japonaise d'Hashima est inscrite au patrimoine mondial de l'Unesco malgré les vives protestations de la Coréd du Sud. L'île est en effet un vestige du passé industriel du Japon qui accueillit jusqu'en 1974 des mineurs exploitant le charbon. Abandonnée elle est devenue une île fantôme dont les vestiges attirent autant les touristes qu'ils attisent l'imagination des cinéastes (Skyfall). Mais pendant la seconde guerre mondiale l'île accueillit aussi 800 travailleurs coréens forcés de vivre dans des conditions dures. Au moins 120 d'entre eux y périrent. C'est dans ce contexte de tensions sur les mémoires de l'occupation japonaise (femmes de réconfort, collaboration..) que sort en 2017 sur les écrans sud-coréens The Battleship Island.


Le film se concentre sur la vie des travailleurs de force coréens depuis leur "recrutement" en Corée jusqu'à leur arrivée sur l'île cuirassée et leur tentative d'évasion. Pendant plus de deux heures il propose une immersion dans l'histoire de l'occupation japonaise de la Corée avec en toile de fond l'affrontement titanesque qui embrasa toute la région d'Asie-Pacifique. Film mémoire, film témoignage, film anti-guerre, film humaniste, film revanchard, The Battleship essaie d'être un peu tout cela et c'est bien le problème.
Niveau technique le film est de très bonne facture. La reconstitution du camp de travail est remarquable, la plongée dans l'enfer des mines angoissante. La lumière joue beaucoup dans cette immersion, colorée chaude au début quand les travailleurs sont sur le continent, beaucoup plus sombre, plus terne (noir, blanc, gris en surface, ocre sous terre) une fois arrivé sur l'île. Il y a un effort pour coller le plus au lieu et à l'époque avec des évocations du sort des prisonniers morts (dont les corps étaient brûlés sur une île proche) et de la présence de la ville de Nagasaki. 
L'intrigue du film se concentre autour d'un père, musicien et de sa fille envoyés suite à une tromperie travailler dans la mine. Elle va suivre leur itinéraire, le père tentant de protéger sa fille du sort peu enviable des travailleurs tout en sachant qu'échapper à la mine signifie risquer de devenir une femme de réconfort. Pendant la première heure le film fonctionne très bien lorgnant beaucoup du côté de La Vie est belle. L'évocation de la Corée sous occupation japonaise est très intéressante. Loin des affres de la guerre, la survie y est plus facile : divertir les Japonais, plier le genou, s'abstenir de toute revendication. C'est ce qui rend l'arrivée dans l'île très forte et le réalisateur fait dans ce début des choix judicieux : les wagons, le chant d'accueil, la chorégraphie improvisée. Le film emprunte beaucoup à La Liste de Shindler et au Pianiste. Le drame historique se dessine habilement : tensions entre prisonniers, les collaborateurs, les traîtres, les violences japonaises. 

Oui mais voilà au bout d'une heure le réalisateur bascule son propos et décide de tomber dans une oeuvre antijaponaise, nationaliste, maladroite alourdie d'une sous-intrigue mêlant espionnage, politique, traître totalement inutile et confuse. En effet à vouloir pointer du doigt l'implication du Japon dans les crimes de guerre et l'existence encore aujourd'hui au Japon de groupes refusant de les admettre, en surfant sur une climat délétère où les provocations nationalistes (notamment japonaises) enveniment les relations, son film perd toute sa cohérence. En effet dans cette second heure le film se contente de présenter les Japonais (soldats et mineurs) comme des monstres.  Alors que les conditions de vie des travailleurs japonais ne devaient pas être des plus reluisantes, le film décide de s'attaquer au peuple japonais comme un tout. De même il commet quelques erreurs historiques grotesques comme l'évocation par le directeur japonais des procès de Nüremberg et des sanctions contre les industriels proches des nazis (le procès commencera après la capitulation du Japon).  Ce parti pris s'achève dans un combat final, l'évasion, totalement ratée car peu lisible et qui tombe dans l'héroïsation des combattant coréens qui de mineurs épuisés se muent en combattants invincibles. La scène fonctionne comme un cri de rage où le réalisateur accumule les clins d'oeil nationalistes : brûler un officier japonaise, décapiter le directeur de l'usine. Elle s'achève dans un twist totalement débile : la décapitation du directeur mettant fin à la volonté de combattre des Japonais. Et ce déferlement de violence aurait pu passer si la fin du film (hommage à l'empire du soleil) n'atteignait pas le summum de l'anti-humanisme. Alors que les prisonniers s'éloignent de l'île en bateau, ils aperçoivent au loin le champignon atomique au-dessus de Nagasaki et s'exclament "il doit y avoir des Coréens là-bas".  Une final raté quand on se rappelle tout ce que Spielberg arrivait à dégager dans son Empire du soleil (l'amitié avec l'enfant japonais, la vision de l'éclair...). 

Il se dégage de ces deux heures le sentiment d'un immense gâchis. Alors que le réaisateur aurait pu réaliser l'équivalent sud-coréen de City of life and death, il décide de tomber dans le discours nationaliste le plus basique. Alors que son intention est louable (rappeler les violences subies par la Corée pendant presque 50 ans d'occupation japonaise), sa réalisation manque totalement sa cible.



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