Le cinéma chinois n’a de cesse de
nous étonner. Alors que les gros studios développent les partenariats avec
Hollywood, que le pouvoir soutient les projets coûteux visant à copier voire
concurrencer les Etats-Unis(wolf warrior,
Mojin), que Hong Kong continue de vivre son exception culturelle, un cinéma
plus indépendant, plus politique survit soit à la marge (A touch of sin) soit totalement autorisé comme Kekexili la patrouille sauvage sorti en 2004.
L’intrigue, basée sur des faits
réels, nous emmène au Tibet loin des images d’Épinal des temples et des longs
cortèges de moines. C’est l’autre Tibet celui des campagnes, des éleveurs, des
marchands qui vivent par plus de 4000 mètres d’altitude sur des plateaux
isolés. Ici se livre une guerre violente mais qui intéresse peu les autorités
de Pékin entre des braconniers massacrant les antilopes du Tibet et un groupe
de volontaires tibétains patrouillant pour éviter la quasi disparition de cette
espèce rare. Quand l’un de ses membres est tué par les braconniers et qu’un
nouveau massacre est découvert, le commandant de la patrouille entame une
traque féroce contre les tueurs sous le regard de Ga Yu un jeune journaliste
venu de Pékin.
Kekexili se présente comme un film à la frontière entre le
documentaire et l’aventure. En suivant jour après jour la progression de la
patrouille il nous permet de plonger dans l’univers extrême de ce Nord-Ouest de
la Chine. Paysage magnifique, froid et vide sur des kilomètres alternant plateaux,
contreforts de l’Himalaya, lacs, rivière, désert de sable aussi. Un monde
sauvage clairsemé d’improbables communautés humaines, ici un poste de douane,
ici un village, ici un dispensaire, reliés par quelques rares routes. On
ressent à chaque second le danger de ce milieu : la morsure du froid, le
manque d’air, les traîtres sables. Et le film réussit son pari de nous faire
découvrir presque cliniquement ce territoire isolé sans pour autant perdre son
rythme. Car c’est un véritable survival movie que nous avons devant nous, une
poursuite impitoyable digne des westerns (coucou
la horde sauvage) entre le commandant
et sa Némesis le chef de braconnier peu présent à l’écran mais véritable
obsession. C’est une lutte à mort au-delà de la raison qui pousse cette
patrouille aux moyens dérisoires (manque d’essence, de balles) face à ces braconniers tout aussi obsédés par la quête des antilopes.
Le film est une descente aux enfers, une quête dont on perd le sens qui nous
rappelle celle du capitaine Achab dans Moby Dick.
Le film nous offre aussi une
analyse non manichéenne de la vie, de la survie dans ce territoire largement
ignoré. Qui sont ces braconniers ? Des éleveurs pauvres pour certains, des
trafiquants, de réelles brutes pour d’autres. Difficile de les distinguer et
comment les punir pour cette patrouille à la limite de la légalité. Le
réalisateur réussit plusieurs fois à installer un climat de tension : que
vont devenir les prisonniers ? Les traqueurs vont-ils appliquer la règle
du talion ? La personnalité des membres de cette patrouille fascine.
Pourquoi défendent-ils ces antilopes eux qui aurait pu très bien dans d’autres
circonstances se retrouver dans l’autre camp ? La traque semble se suffire à elle-même.
Notons enfin l’immense qualité
visuelle et technique du film. La musique fonctionne alternant quelques thèmes
et surtout de merveilleux chants tibétains. La réalisation est excellente à
commencer par la superbe photographie qui permet de saisir l’effet de
dimension, d’isolement, d’abandon qui saisit l’étranger dans ces contrées.
Notons aussi les plans extrêmement travaillés qui soulignent la dimension
presque apocalyptique du massacre des antilopes. Pour un film dont le budget
n’a pas été énorme, le travail rendu est remarquable. Comme le sont tous les
acteurs criant de vérité, de justesse.
Intelligent, fort, choc, Kekexili
réussit au-delà des nos espérance. Western chinois sur fond de lutte pour
l’environnement, quête initiatique absolue, le tout basé sur des faits réels,
film emblématique d’un certain cinéma chinois qui (avec la bienveillance du
gouvernement) s’émancipe du carcan de la censure.
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