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Shanghai 1937, la Moskova 1812

Histoires croisées Asie-Occident

Une fois n'est pas coutume ce ne sont pas des personnages dont la biographie sert ici de support à une histoire parallèle mais deux batailles qui ont eu pour leur vainqueur  les mêmes conséquences. La bataille de la  Moskova et celle de Shanghai en 1937 ont représenté pour leur vainqueur respectif, l'armée napoléonienne et l'armée impériale japonaise, une victoire coûteuse incomplète qui les a conduit à s'enfoncer encore plus loin en territoire ennemi à s'épuiser pour chercher à abattre leur adversaire au mépris de leur objectif d'origine. 



Shanghai 1937
C'est une bataille très peu connue en Occident mais dont l'histoire est capitale pour l'Asie. Depuis le 7 juillet 1937 et l'incident du pont Marco Polo à Pékin, la guerre qui couvait entre le Japon et la Chine nationaliste éclate sous les multiples provocations fomentées par une poignée d'officiers extrémistes japonais. La guerre qui embrase le Nord n'a cependant pas encore touché le Sud. Il suffit d'une étincelle pour que toute la Chine s'enfonce dans le conflit. La voiture du sous lieutenant Oyama Isao pénètre le 9 août 1937 à Shanghai dans un poste tenu par des soldats chinois. Une fusillade éclate tuant l'officier nippon et son chauffeur Saito Yozo. L'armée japonaise tient son incident mais aussi Chiang Kaï Chek qui a choisi le Sud et son paysage de rizières, de canaux, de ruelles (moins propices aux grandes offensives japonaises que la grande plaine du Nord) pour engager sa toute nouvelle armée dont un corps d'élite formé à grands frais par des instructeurs allemands :  300 000 hommes hautement motivés dont un excellent corps d'officiers et de sous-officiers. Seul bémol cette armée possède peu de blindés, peu d'avions (moins de 180), peu d'artillerie lourde et l'armement est un mélange d'équipement allemands, anglais... Dès le 13 août les forces chinoises prenant acte de l'échec des médiations occidentales lancent l'offensive profitant de leur connaissance du terrain pour se glisser au plus près des forces japonaises, 4 000 fusiliers marins. En parallèle d'autres forces chinoises s'infiltrent dans le dos pour encercler les japonais. L'ardeur et la violence des assaut chinois surprennent les japonais qui ont largement sous-estimé leurs adversaires. Mais leur armement blindé, leur puissance de feu leur permettent de se replier en bon ordre soutenus par l'artillerie des navires japonais qui écrasent sous un barrage terrifiant les vagues humaines chinoises. Si l'attaque chinoise est un échec, elle contraint le Japon a engagé d'autres forces puiséES dans l'infanterie : trois divisions dirigées par le général Matsui viennent renforcer les fusiliers marins acculés contre le Huangpu la rivière qui traverse Shanghai. Le 22 août la bataille prend de l'ampleur. Le Japon fort de sa mobilité débarque  trois divisions fraîches au Nord-Est de Shanghai  autour de Baoshan. Les Chinois fortement retranchés font face et profitent du terrain et de la pluie pour lancer de farouches contre attaques. La bataille dégénère en de violents corps à corps pour conquérir chaque canal. Une brutale guerre de position où les actes de bravoure se multiplient : les sapeurs japonais de l'eau jusqu'au cou hissent des planches pour permettre le passage des fantassins ; les Chinois à coup de cocktail molotov et de grenades repoussent les assaut nippons. Pourtant l'entraînement, la maîtrise de l'air, la coordination entre les armes favorisent inexorablement les Japonais. Leur offensive au Nord-Est progresse aux prix de pertes énormes, deux nouvelles divisions partent du Nord de la Chine pour renforcer Shanghai. Priorité est donnée au front Sud et le Japon mobilise encore 7 divisions dans l'archipel, un effort tel qu'il ne reste plus que 3 divisions de réserve dans l'archipel. Pourtant les efforts payent. Le front chinois craque une première fois au Nord avec la chute de Baoshan le 11 septembre. Les Chinois s'obstinent et concentrent 300 000 autour de Luodian pour freiner et saigner les 100 000 japonais qui avancent.  Le danger est pourtant là : un encerclement de la ville qui piégerait les forces engagées depuis le début de la bataille.  Entre Dacheng et la rivière Suzhou les Japonais fournissent un énorme effort : la 3è division perd 80 % de son effectif pour forcer le passage de la rivière (ses compagnies ne comptent plus que 20 à 30 hommes commandés par un simple caporal !!). Mais la résistance chinoise craque à nouveau le 29 octobre d'autant plus que le 5 novembre un nouveau débarquement au Sud à Jingshanwei menace de prendre en tenailles l'armée chinoise. Chaing Kai Chek doit ordonner la retraite ou plutôt la fuite de ce qui lui reste d'armée. 1 mois plus tard l'armée nippon prend Nankin la capitale nationaliste et s'y livre à un horrible massacre. Le bilan de cette bataille, la plus sanglante de la guerre d'Asie-Pacifique dépasse ce que les experts de chaque camp avait prévu : 42 000 morts et blessés côté japonais, les divisions engagées au début de la bataille ont perdu 70 % de leur effectif. Côté nationaliste leur bilan est encore pire : 250 000 morts et blessés, la 88è division, la meilleurs ne compte plus que 4 000 surviviants. Plus grave Chiang Kai chek a perdu les 2/3 des officiers et sous-officiers formés par les allemands ainsi que l'essentiel de l'armée patiemment formée. Une perte terrible qui expliquera sa défaite face aux communistes de Mao. Pourtant déjouant tous les pronostics japonais, son régime tient le choc : malgré la perte de son armée d'élite et de capitale, il a pu replier ses usines loin à l'intérieur et entraîne le Japon dans un guerre d'usure qui causera la perte de l'empire d'Hiro Hito.

Une telle bataille rappelle la terrible confrontation de la Moskova/borondino. Rappelons nous. Le 22 juin 1812 Napoléon envahit la Russie bien décidé à soumettre le Tsar. Alexandre 1er. Son plan est simple : par le mouvement  attirer l'armée russe et lui infliger une défaite décisive contraignant le Tsar à demander la paix et à appliquer totalemet le blocus continental. Mais les Russes, sous les conseils de Barclay de Tolly, refusent l'affrontement, pratiquent la terre brûlée et échappent plusieurs fois aux serres de l'aigle notamment devant Smolensk. L'armée française s'épuise dans une longue marche vers Moscou et c'est à proximité du village de Borodino, à 125 kilomètres de Moscou que l'affrontement décisif a lieu le 7 septembre. Le Tsar a choisi d'attendre les français sur une position renforcée par des redoutes. 130 000 hommes de chaque côté se font face. Napoléon de son côté malade de la fièvre n'est pas au mieux de ses capacités. De peur que l'ennemi ne s'échappe à nouveau l'empereur ne choisit pas d'essayer de contourner l'ennemi par le Nord ou le Sud mais de mener un assaut frontal pour s'emparer des flèches de Séménovskoïé et de la grande redoute, pivot de la défense russe. C'est autour d'elle que les combats vont atteindre un sommet d'intensité, plusieurs fois reprise puis perdue avant qu'un ultime assaut de l'infanterie et de la cavalerie soutenu par 300 pièce d'artillerie ne l'emporte. A ce moment là la victoire totale est à portée de main mais l'empereur  refuse d'engager son ultime réserve la garde impériale afin d'achever l'armée russe. Il l'a fait pilonner par 400 pièces d'artillerie mais elle se replie en bon ordre . Le bilan est lourd : 30 000 soldats hors de combat côté français, 45 000 côté russe. Le 14 septembre les Français entrent dans Moscou mais le Tsar réfugié à Saint Péterbourg refuse toujours la paix tandis que les Français sont de plus en plus éloignés en territoire russe. L'incendie de Moscou et le terrible hiver russe auront raison de la grande armée.

Ces deux batailles sont pour leurs vainqueurs deux victoires à la Pyrrhus. Coûteuses sur le plan humain, elles sont des succès tactiques (prise de la capitale adverse) mais une défaite stratégique car l'objectif de bataille décisive n'est pas obtenu et les entraîne dans une guerre  d'usure dont les deux sortiront vaincus.

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