Les Trésors cachés de la filmographie de Mister Jackie : épisode II
Si vous cherchez un film où Jackie Chan ne combat pas, a peur et incarne un paumé presque un Bad Guy, The Shinjuku Incident est pour vous. Réalisé en 2009 par Derek Yee, c’est une perle rare dans la longue filmographie de Jackie Chan, une œuvre ambitieuse où Jackie le clown acrobate joue contre son image et prend son public à contre pieds.
L’histoire nous plonge dans les affres de la vie des immigrés chinois au Japon. Tête de fer (Tieutou incarné par Jackie Chan) a immigré au Japon depuis 10 ans. Simple mécanicien, il y est entré illégalement pour retrouver sa fiancée Xiu Xiu. Il intègre à Tokyo la communauté des chinois clandestins vivant de basses besognes au service des mafias. C’est à ce moment qu’il sauve la vie d’un yakuza Eguchi qui se trouve accessoirement être marié à Xiu Xiu. Tieutou entre alors de pleins pieds dans la guerre des gangs devenant l’instrument d’une lutte pour arracher aux taïwanais un quartier.
Première surprise le film a un ton sombre, hommage au polar noir de Kinki Fukasaku. Il nous plonge dans un Japon que l’on a peu l’occasion de voir. Celui des immigrés jetés dans les rues, dans les égouts, venus chercher l’eldorado et tombant dans un univers dépressif. Le film nous dépeint des hommes au plus près de leur chair incarné élégamment par Jackie Chan tour à tour effrayé comme tous les sans-papiers à la vue du moindre policier, happé par la peur d’échouer lorsqu’il commence sa carrière de criminel, froid et calculateur quand il tente de trouver sa place entre les grandes mafias et la police.
On peut saluer la maîtrise de Derek Yee pour magnifier la nuit, pour faire resurgir les dilemmes personnels et moraux où fraternité, survie, amour, violence, étouffent les consciences. Son travail graphique emprunte les voies tracées par les œuvres de Johnnie To et de la milkyway : une image à la fois très froide, presque clinique et une caméra énergique qui n’hésite pas à plonger dans l’envers du décor de la vie de Tokyo. Des rues crasseuses, des quartiers semblant surgir d’une dimension cachée où survit toute une foule interlope. Derek Yee ajoute à son talent une audace et un courage certain car son film est violent (scènes de combats parfois gore, violence réaliste) et pourtant il a choisi avec l’accord de Jackie Chan de ne pas couper certaines scènes qui auraient choqué le public de Chine continental : gros risque d’être censuré mais véritable posture artistique. Et cela se ressent car son film reste cohérent : peinture sombre et sans concession de la pègre il ne tombe jamais dans le pathos outrancier, larmoyant.
La seconde surprise concerne les acteurs à commencer par Mister Jackie. L’enjeu était grand pour lui d’imposer une image d’acteur dramatique après les semi-échec de Crime Story et de New Police Story. Mission réussie haut la main. Jackie Chan joue avec sobriété et un intelligence un rôle très bien écrit qui le fait passer d’immigré peureux à chef de gang d’un univers dont il ne comprend que peu les règles, dans un pays où il ne maîtrise que peu la langue. L’écriture du personnage est très intelligente : évitant les stéréotypes (il n’est ni un bon samaritain ni une crapule), elle le fait évoluer montrant que chaque ascension implique de nouveaux dilemmes. Artifice très intéressant, sa relation avec le yakusa et le policier, deux personnages à qui il sauve la vie et qui viennent approfondir sa quête.
Ces seconds personnage apportent pour leur grande majorité un souffle de fraîcheur à l’intrigue. Et pour cause le casting est 5 étoiles : Jack Kao grande star taïwanaise et d’une classe énorme ; Daniel Wu en mode freestyle exubérant ; Masaya Kato grandiose dans la peau du chef yakusa sobre, inquiétant, classe ; le magistral Takenaka Naoto (immense acteur aussi bon dans le comique que dans le dramatique) qui prête ses traits au policier et construit une très belle relation avec Jackie où le sens du devoir vient heurter son humanisme. Petit regret les rôles féminins relégués en second plan.
Ainsi The Shinjuku Incident réussit au de-là de nos espérances. Très bon drame social, excellent film de Yakusa, très belle histoire d’homme, il offre à Mister Jackie le grand rôle dramatique qui manquait à sa filmographie.
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