Cao Cao et Richelieu

Histoires parallèles : chapitre deux

Cao Cao et Richelieu, deux grands hommes où la légende dispute à la réalité. Personnage politique aux diverses facettes, la littérature les a rendus intemporels au point de voiler la vérité. Distants de 1300 ans, situés sur deux continents éloignés, ces deux hommes partagent une destinée hors du commun et nous permettent de brosser le second chapitre de ces portraits croisés

Cao Cao

Il n'y a guère que le premier empereur de la dynastie Qin qui peut se prévaloir d'être aussi connu, mythique. Connaître Cao Cao c'est plonger dans une Chine tumultueuse, c'est naviguer au gré des multiples complots, c'est trier entre les multiples sources littéraires (Les Trois Royaumes, Biographie de Cao le fourbe, livre de Wei, Annales des Hans) dont seules les deux dernières peuvent être jugées impartiales. Tantôt général rebelle et fourbe ; tantôt glaive de la justice et bouclier de l'empire, Cao Cao a suscité les débats les plus passionnés au point de disparaître derrière le voile de la fiction.

Cao Cao est le fils adoptif d'une eunuque de la province de l'Anhui, au Sud de la Chine. Il est le fils d'un haut fonctionnaire isolé dans une province voisine du Henan où ont été établies les deux dernières capitales de la dynastie des Han (Luoyang et Xuchang). Jeune turbulent, facétieux, fourbe et surtout ambitieux, le contexte du second siècle après J-C va lui offrir l'occasion d'une ascension hors du commun. En effet la dynastie des Han s'essoufle ; des empereurs cruels et faibles, des troubles sociaux, de mauvaises récoltes, des guerres de clans et des fonctionnaires ambitieux font vaciller l'empire. Une insurrection rurale, les Turbans Jaunes, mélangeant révolte agraire et mysticisme soulève des masses de paysans affamés par les inondations catastrophiques du fleuve Jaune et les épidémies. Pour tous il semble que l'empereur a perdu le mandat céleste et qu'il est temps de le déposer. Les Turbans Jaunes regroupent plusieurs centaines milliers de paysans, menacent l'empire au point de capturer et de brûler la capitale Luoyang. L'empereur aux abois confie le sort de l'empire à des fonctionnaires, militaires de haut rang dont Cao Cao qui vont réprimer la révolte en 192. Cao Cao y gagne le titre de commandant de cavalerie puis de général et surtout une armée aguerrie à laquelle il incorpore 300 000 anciens turbans jaunes. Personnage incontournable il reste fidèle à l'empereur, refusant de soutenir un complot contre Lingdi, combattant Dong Zhouo un général rebelle, puis menant la célèbre guerre des trois royaumes pour réunifier la Chine. S'il est vaincu lors de la célèbre bataille de Falaise rouge, il continue la lutte renforçant l'emprise de l'empereur sur le Nord de la Chine sans toutefois vaincre ses deux rivaux du Sud. L'empereur le couvre d'honneur : en 213 il est nommé grand duc de Wei, en 214 il est élevé au rand « au dessus des seigneurs et des rois », l'empereur lui accorde le droit de donner des titres de noblesse et prend une des filles de Cao Cao comme épouse. L'ancienne impératrice opposée à Cao Cao est déposée et exécutée avec son clan. Mais Cao Cao ne prend jamais le titre d'empereur malgré ses amis qui le presse de franchir le pas. Dans son testament il écrit « L’Empire n’est pas encore pacifié et il n’est donc pas possible de suivre les rites. Une fois mon enterrement fini, que l’on dispose de mes oripeaux. Que les soldats en garnison aux frontières ne quittent pas leur poste. Que les mandarins de tout rang continuent de se concentrer sur leurs tâches. Je souhaite d’être enterré habillé de vêtements ordinaires, sans or ni jade ni autres trésors ». 

Car l'homme se pose en redresseur de torts : il mate les fonctionnaires, châtie les rebelles. Ainsi lors de la campagne contre les Turbans Jaunes il n'hésite pas démettre et punir les mandarins corrompus et il épargnera les femmes et les enfants des rebelles ayant choisi de se rendre. Il émet plus tard un décret décret par lequel il offre aux veuves, aux jeunes orphelins et aux invalides le droit d’être nourris par le gouvernement, et impose aux personnes de plus de quatre-vingt-dix ans d’avoir une personne résidant avec eux. Il se montrera sévère avec les généraux vaincus mais prodigue avec les officiers et soldats courageux. Ainsi il veillera à toujours récompenser les officiers et soldats compétents : il fera de Shouling un cimetière militaire où reposeront les soldats dans un sol stérile et dure afin de n'être pas dérangé dans leur repos éternel par des laboureurs. Soucieux d'améliorer l'efficacité de l'administration, il recommandera aux mandarins de lui recommander de petits fonctionnaires d'origine modeste mais très compétent. De même il imposera l'étude de la littérature pour éduquer les habitants et enverra de professeurs dans touts les villes de plus de 500 habitants dans le but encore une fois de former une future élite. Son œuvre s'attache aussi aux arts. Grand commentateur de la littérature militaire, c'est un poète accompli. Une vie riche qui s'étend au bout de 65 années, un grand âge pour l'époque et pour un homme qui n'a pas ménagé ses efforts.

Un tel destin va servir d'inspiration à des générations d'auteurs et de biographes. Cao Cao devient dans la tradition populaire l'archétype du serviteur rusé, hypocrite fossoyeur de la dynastie des Han. Le roman Les Trois royaumes en fait le « méchant » absolu, cruel, intelligent, rusé puni par le destin (meurt d'une tumeur au cerveau). Un proverbe chinois conserve encore l'image de cette légende noire « Dites “Cao Cao” et Cao Cao arrive ! » quand on parle du loup. Et dans le même temps une autre tradition en fait l'exemple de fonctionnaire incorruptible, serviteur de l'empire, grand homme d'état qui a œuvré à la survie de l'ordre public, une visions plus proche de la réalité.

Richelieu

Un tel personnage aussi riche de son vivant que par sa légende ne trouve que peu d'égaux. C'est en France que l'on trouve un quasi alter ego : le Cardinal de Richelieu. Le Grand Homme incarne l'Etat moderne en reconstruction dans un contexte politique chaotique. Il œuvre d'abord à la pacification du royaume en luttant contre le protestants et contre les Grands Nobles ou princes pour unifier ce qui deviendra la France. Une lutte qui occupera toute sa vie et qui ne sera achevée qu'après sa mort lors de la Fronde. Il affronte aussi l'empire des Habsbourg (Espagne, Autriche) qui menace la France de toute part. A l'intérieur il réforme l'Etat en donnant plus de pouvoir aux intendants, en privilégiant le service de l'Etat à la naissance, Il fait face à deux nombreux complots (Saint Mars), conduit le roi à le préférer à la reine mère Marie de Médicis qui est exilée. Il réaffirme la puissance de la loi en punissant les nobles pratiquant en tout illégalité le duel. Homme intègre épris d'Etat, c'est aussi un homme de Lettres à qui l'on doit outre ses écrits la créations de la Sorbonne ou de l'Académie française.

Et à sa mort il devient le sujet de prédilection de la littérature et de la fiction. Alexandre Dumas le rend immortel en décrivant un homme d'Etat machiavélique mais au service de l'Etat. Le cinéma simplifiera encore cette image en en faisant l'ennemi des mousquetaires prêt à renverser le roi et la reine. Victor Hugo inspiré par la légende noire popularisera l'image de la robe écarlate (du sang). Le cinéma se nourrira de l'opposition entre Anne d'Autriche et Richelieu offrant même ses sommets de non sens et de nanardises dans l'adaptation de Disney de 1993 où le cardinal tente d'assassiner le roi !! . Une image noire qui perdure encore dans la dernière adaptation de 2011 où le cardinal plus subtilement tente de déclencher une guerre avec l'Angleterre fin de déposer le roi.

Grands hommes d'Etat, serviteur dévoué, une légende noire et un vie rendue immortelle par la littérature et le cinéma, ainsi peut-on résumer les vies parallèle de Richelieu et Cao Cao.