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projet Itoh : empire of the corpses



Le projet Itoh du nom de l'écrivain Keikaku Itoh a marqué l'univers de la SF japonais. L'écrivain mort prématurément à 34 ans composa deux romans et une ébauche de troisième, couronnés de prix notamment dans l'archipel mais aussi dans le monde. L'univers littéraire est si riche, si divers que les studios nippons ont choisi d'adapter les trois œuvres. Nous avons déjà chroniqué le premier opus Harmony qui nous a laissé une  excellente impression. Présentons ici la seconde réalisation Empire of corpses, l'adaptation du troisième livre dont ne furent écrites que 30 pages.


Plantons d'abord le décor. L'intrigue se place à la fin du XIXè siècle, un siècle qui ressemble beaucoup à celui que nous avons connu à un détail près. Les expériences du Docteur Frankenstein ont dépassé le stade scientifique. Sa technologie permet de ramener les morts à la vie en leur reprogrammant le cerveau. Ces zombies dociles sont devenues la masse laborieuse des économies industrielles et des armées : que ce soit dans les usines ou sur les champs de bataille ce sont désormais les nécromates qui se chargent des basses besognes. Dans ce monde où ces corps sans âmes contrôlés par les nécrogiciels sont devenus le cœur de la croissance industrielle, John Watson est obsédé par l'idée de ramener à la vie l'âme de son ami, Friday. Il va enfreindre la loi et se retrouve obliger de collaborer avec une agence britannique secrète dirigée par le mystérieux monsieur M. Elle le charge d'une mission ultra sensible : retrouver le journal de Victor Frankenstein où reposent les secrets permettant de créer un nécromate doté de conscience. John Watson part donc vers l'Afghanistan au moment où le grand jeu Russo-britannique fait rage, que plusieurs nécromates dysfonctionnent et que la créature de Frankenstein réapparaît.

Sacré film que cet empire of the corpses. Au niveau du style contrairement à ce que le scénario peut laisser supposer ce n'est pas un film de zombies. Loin de là nous nous trouvons dans un mixte entre Steamboy et Ghost in the Shell. En effet nous sommes dans un univers cyberpunk très bien mis en valeur à la croisée entre le film d'Otomo et l'univers de la ligue des gentlemen extraordinaires. Le contexte historique est superbement reconstitué l'Angleterre victorienne, l'Inde, la Californie, le Japon de Meiji. L'introduction de l'élément perturbateur -les nécromates- ne choque pas. Comme dans Steamboy, les équipes graphiques ont fait un effort pour rendre crédible cette révolution technologique où les rouages, les écrous, les cartes perforées sont les ordinateurs de l'époque. De même l'interaction avec la fiction littéraire (John Watson, Frankenstein, le Nautilius, Edison, M) ne choque pas : elle vient compléter l'immersion dans cette uchronie. Il en résulte pendant les 2 heures de film un travail visuel remarquable. Si les tons ocres dominent, la reconstitution est somptueuse que ce soit pour Bombay, Londres ou le Japon. Le passage en Afghanistan est aussi très réussi. Et globalement le film est un sans fautes sur la plan visuel et de l'animation. Car c'est un film ultra dynamique. Entre la course poursuite à Bombay, les affrontement entre armées momifiées en Afghanistan, le duel superbe avec deux samouraïs-momies, les émeutes à San Francisco ou le duel final dans la tour, le spectateur en prend plein les yeux et les oreilles. Les combats sont nerveux, diversifiés, inventifs. Notons l'écriture globalement bonne voir très bonne des personnages : grande réussite c'est le nécromate Friday l'ami de Watson et le personnage féminin.

Et pourtant Empire of corpses est avant tout un film de réflexion. Tout d'abord l'enquête de Watson est superbement construite. Chaque rebondissement conduit à approfondir le mystère. Parti traquer le scientifique Karamazov au cœur de l'Afghanistan, Watson se retrouve à rechercher l'ultime mystère des travaux de Frankenstein. D'ailleurs l'apparition de la créature est une belle trouvaille non seulement visuelle mais scénaristique. Car jusqu'au bout on ne sait pas qui est réellement l'ennemi. Ses motivations sont touchantes et dénotent une parfaite appropriation du héros littéraire. Autres idées de génies c'est l'introduction dans un film steampunk de thématiques modernes (rôle des lobbys, le contrôle des esprits, la mutation..). Impossible de résumer aussi les questions que pose le film. On y parle du poids de l'âme et des 21 grammes que perdraient le corps humain au moment de la mort, du poids du deuil, de la nature de l'âme et du statut des nécromates. Vous avez compris les références sont nombreuses et plusieurs passages font penser à Ghost In the Shell 2 et aussi au premier opus du projet Itoh Harmony. Difficile d'en dire plus sans dévoiler l'intrigue. Pour rajouter au plaisir réflexif que procure ce film, il est conseiller de voir le générique jusqu'à la fin : une fin en forme de question et d'apothéose dans un style que Philip K Dick n'aurait pas renié.

Alors chef d'oeuvre ? On n'en est pas loin. Un regret. Le film est presque trop court. Il y a tellement d'histoires annexes que l'on aurait aimé une heure de plus pour comprendre l'itinéraire de Karamazov ou de la créature. En tout cas cette second adaptation du projet Itoh frappe juste et fort. Nous sommes peut être entrain d'assister à la naissance d'une trilogie mythique.


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