L'histoire récente de la Corée du Sud demeure une source inépuisable pour le cinéma. Le film Silmido sorti en 2003 en est une nouvelle preuve, croisement audacieux entre la grosse production tout public et le film engagé dénonciateur.
L'affrontement permanent entre les deux Corée
Silmido nous raconte une histoire vraie qui plonge ses racines dans une des périodes troubles de la Corée du Sud. Au milieu des années 1960 le pays n'est pas encore un dragon asiatique, il est même devancé au niveau économique par son voisin du Nord. Mais un homme ambitieux le général Park Chung Hee (le défunt père de l'actuelle présidente) a pris de force le pouvoir en 1961 et s'est installé à la présidence. Sous le vernis d'élection il instaure un régime autoritaire farouchement anti-communiste et qui lance le pays sur la voie de la croissance économique.
Son voisin du Nord Kim Il Sung entend pourtant le déstabiliser et déclenche le 21 janvier 1968 un action audacieuse et spectaculaire : une troupe soldats d'élites s'infiltre au Sud pour tenter d'assassiner le président Park et parvient à pénétrer dans l'enceinte de la maison Bleue, le siège du pouvoir. Si l'assaut échoue, il met en fureur le président et les militaires qui décident de monter l'unité 684 dont la mission est d'assassiner Kim Il Sung. 31 hommes, des détenus de droit commun et des condamnés à mort sont recrutés pour cette mission et entraînés sur l'île de Silmido. Or le 23 août 1971, les soldats se mutinent et se font exploser dans un bus roulant vers Séoul.
La fiction au service de la mémoire
Ce film propose de revenir sur l'incident Silmido, une affaire connue mais nimbée de mystères qui a resurgi en 2002. Il propose une construction en trois temps. La première partie, l'introduction du film revient sur les événements de janvier 1968. Mais la grande idée du réalisateur c'est de montrer en parallèle l'attaque des nord-coréens et une agression menée par un gang de Séoul contre le chef d'un clan voisin. Même violence fratricide, même lutte absurde. Une illustration intelligente de la fracture coréenne où le soldat nord-coréen et comparé aux voyous dont l'un sera amené à intégrer l'unité 684. Cet hommes devient d'ailleurs le héros principal du film : son passé est riche en symbole. Son père dissident, traître à la nation l'a abandonné pour fuir au Nord. C'est donc à son fils, truand et assassin que l'on propose de racheter les crimes de son père.
Cela nous amène à la seconde partie du film, l'entraînement sur l'île. Le réalisateur s'intéresse à une question : comment transforme-t-on des hommes en machines dont l'existence est focalisée sur leur mission. Le film nous brosse un entraînement d'une violence folle : simulation de noyade, brimade, course jusqu'à l'épuisement, traversée de pont en corde (provocant la mort de certains), brimades en tout genre, marquage au fer rouge. A silmido l'armée sud-coréenne dispense sa formation la plus dure qui n'a rien à envier à celle du Sud. Et le réalisateur pose en filigrane une question forte qu'est-ce qui différencie le Nord du Sud si la vie humaine est traitée avec autant de détachement. Son film devient extrêmement critique des méthodes de l'armée sud-coréenne tout en humanisant ses anti-héros magistralement interprété.
Les soldats perdus
C'est un des points qui peut fasciner ou déranger ; la transformation que subissent ces hommes qui nous fait oublier leur passé sombre. Un aspect qui rejaillit cependant lors de la glaçante scène avec le médecin . Ces criminels nouent de vrais amitiés de vraies souffrance tandis qu'une relation forte se tisse entre eux et leur officier recruteur (joué par une star du cinéma coréen Ahn Seon Gi déjà vu dans le film historique et polémique May 18). Et c'est cette dernière relation qui ouvre que la troisième partie, le final du film : que fait-on de ces hommes le jour où l'opération est annulée, comment désarmorce-t-on ces bombes à retardement ? Car 3 ans après le début de l'opération la priorité est à la détente et donc à étouffer cette opération ce qui signifie l'élimination de tous les hommes de l'opération Silmido.
Pour ces soldats d'élite c'est la cassure, l'incompréhension qui vire à la violence qui n'est pas sans rappeler dans Rambo l'impossible retour du vétéran du Vietnam dans l'Amérique post-guerre. D'autant plus qu'en se mutinant ils sont assimilés aux communistes, à l'ennemi. Cette dernière partie approfondit aussi le déchirement de leurs officiers entre ceux qui se réfugient derrière la mécanique militaire froide et ceux qui ne supportent par cette dualité. On pourrait d'ailleurs regretter que la fin en se concentrant sur les soldats sacrifiés passe vite sur les victimes civiles, dégâts collatéraux d'une opération absurde au sein d'une guerre absurde.
Silmido sous ses airs de film à grand spectacle offre une plongée aussi réussie que terrifiante dans l'identité paradoxale de la péninsule coréenne. Monstre et héros, criminel et sauveur, innovent et victime, ces soldats perdus sont l'illustration de la complexité de cette histoire. Une démocratie et une dictature affirmant toute deux rechercher la réunification ; une monarchie communiste face à une présidence autoritaire. Pour saisir cette improbable situation la dernière scène du film est un petit bijou de sarcasme : l'ambitieux projet de rapprochement des croix rouges sud et nord coréennes finalement remisé au fond d'une armoire métallique.
Silmido atteint son objectif d'être un film polémique tout en restant tout public. C'est d'ailleurs cette volonté de toucher un grand nombre qui l'empêche d'être un très grand film : un excès de pathos qui désamorce parfois la charge critique.
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