A redécouvrir

critique de Under the flag of the rising sun

"le gouvernement n'a demandé à personne la permission d'entrer en guerre mais nous sommes ceux qui en ont payé le prix"





Mémoire de guerre


1971, Sakie veuve de guerre depuis 26 se rend à nouveau au ministère de la Santé pour essayer de connaître la vérité sur la mort de son mari et laver son honneur. En effet si depuis 1952 le gouvernement japonais octroie une pensions aux veuves de guerre et honore la mémoire des soldats tombés pendant la guerre, il en exclut les soldats exécutés pour désertion. 

Or le sergent Katsuo Togashi, l'époux de Sakie a été condamné à mort par la cour martiale pour avoir déserté au mois d'août 1945. De ce jugement il ne reste aucune trace ; juste une mention. Profitant de la nomination d'un nouveau directeur, Sakie part à la recherche de la vérité en recherchant les quatre survivants du bataillon de son défunt mari.


Un film d'un réalisateur engagé


Sorti en 1972, Under the flag of the rising sun s'inscrit dans un contexte politique et social tourmenté. Si le Japon est en pleine, forte croissance économique, il connaît dans le même un fort mouvement de remise en cause politique (armée rouge japonaise), morale et mémorielle. Sous l'impulsion de journalistes et d'historiens de gauche, la mémoire de la guerre refait surface avec son cortège d'exactions longtemps passées sous silence : Nankin, Unité 731. Le consensus mémoriel se fragmente et le cinéma japonais s'empare de ces thèmes de l'honneur de la trahison, de la violence de guerre. En 1969 sort Goyokin, une métaphore sur l'aveuglement et la violence militaire. Quand Kinki Fukasaku s'empare de cette histoire de veuve, il est bien décidé à ne pas réaliser un film de guerre mais à casser l'image du guerrier honorable. 

L'homme n'est pas à son coup d'essai. C'est un des plus importants cinéastes nippons de la seconde moitié du XXè siècle qui a fait exploser l'image classique du yakusa (pour en faire des hommes sans honneur attirés par l'appât du gain),  qui a fortement critiqué les dérives de la société japonaise (dans le magistral Battle Royale). Son film, il le construit à la manière de Rashomon : 5 histoires (l'épouse et celles des quatre survivants) s'imbriquent dans la quête de la vérité. Cette construction lui permet d'inscrire son film dans une triple temporalité. Celle du Japon de 1971 qui s'est reconstruit et qui porte les séquelles de la guerre (bidonvilles!!), celle de la guerre vue à travers des images d'archive et celle de la vraie guerre vécue par les soldats dans les horreurs de la campagne de Nouvelle Guinée. Le tout porté par une femme (un thème qui lui est cher), la victime oubliée de la guerre (que ce soit les veuves ou les « femmes de réconfort) qui va ébranler tout l'édifice de l'amnésie collective.


Un film militant


Le propos du film est implacable. Ce n'est pas une ode à l'héroïsme mais un conte horrifique, celui de jeunes engagés, survivants chanceux (?) du torpillage de leur convoi, isolés, en butte au fanatisme de leurs officiers, aux ordres absurdes, à la faim, la maladie, la peur et le dilemme entre survivre ou suivre un absurde code d'honneur. En alternant les séquences en couleur (Japon actuel), les images d'archives et les séquences dans la jungle en noir et blanc, Fukasaku nous plonge dans tout le conflit mémoriel d'un Japon qui a décidé d'oublier, qui continue à pointer du doigt la femme du déserteur et qui refuse de toucher au tabou du souvenir. Jusqu'à ce que cette veuve trouve à travers le nouveau directeur du ministère, un individu qui décide d'aller contre la prétendue règle impériale discriminant les déserteurs.

 C'est alors que le film va nous plonger dans la noirceur absolue de cette guerre dont le « le gouvernement n'a pas demandé au peuple sa permission » pour la déclarer. Fukasaku avec une lucidité forte s'en prend au militarisme, fanatisme des officiers, violents, avec leurs soldats ; à la bêtise des généraux obnubilés par leur « honneur » mais qui furent nombreux à se rendre ; à la violence faite aux civils ; et à la misère des soldats abandonnés dans la jungle contraints aux pires extrêmes. Au gré des témoignages la veuve découvre la vérité sur la mort de son mari, secret partagé par les témoins dont certains portent une dette éternelle. Le réalisateur se permet dans cette longue recherche de la vérité de régler ces comptes avec l'empereur, le grand oublié des procès de 1945 mais qui est vertement attaqué pour sa complaisance envers les militaires, par son injustice envers les prétendus déserteurs. Le film se permet d'ailleurs un intéressant regard sur le statut des des vétérans de guerre et le Japon moderne. En effet  même après la défaite ce sont les simples soldats qui s'en sortent le moins bien tandis que ce nouveau Japon s'enfonce dans la consommation effrénée, l'illusion de la protection américaine (l'excellente scène des avions!!!) et l'illusions des guerriers morts avec honneur.

Film noir, dur, Under the flag of th rising sun dénonce autant la guerre que la mémoire amnésique de la guerre au Japon. Très bien réalisé, et excellemment interprété, il illustre le talent et l'intelligence d'un des réalisateurs les plus importants du Japon.


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