John Woo représente avec Tsui Hark et Johnnie To le plus
important cinéaste hong kongais. Il a révolutionné le polar en apportant son
amour pour la chorégraphie, le goût de la référence et l’écriture profonde ses
personnages. Il s’est éloigné de son genre fétiche pour s’intéresser à la fresque historique (le
majestueux red cliff) un genre qu’il
a magnifié en dépeignant à travers le passé un portait de la Chine actuelle tout en évitant l’écueil du
nationalisme historique. En 2015 il s’est lancé dans une nouvelle fresque
historique fleuve en deux parties, The
Crossing, où le récit du naufrage du paquebot Taiping entre Shanghai et
Taïwan dans les derniers jours de la guerre civile chinoise.
The Crossing est
un sujet hautement délicat : parler de la guerre civile en prenant comme
héros des nationalistes, les perdants, les traîtres aux yeux du pouvoir
chinois. Son film pourtant dispose d’un budget conséquent, du soutien du
pouvoir chinois et l’appui d’un casting 5 étoiles (Zhang Ziyi, Takeshi
Kaneshiro) pour offrir au spectateur deux films au croisement des genres, entre
frères de sang, le secret des poignards volants et Titanic.
The Crossing partie 1 reprend l’une des mises en place typiques de John Woo. Une histoire multiple
s’étendant sur 4 ans. En prenant son temps il nous dresse 4 itinéraires d’héros
anti-héros jeté sur les routes de
l’histoire dramatique de la Chine : Takeshi Kaneshiro, un taïwanais
de l’armée japonaise devenu médecin et tentant de retrouver dans son île natale
l’amour de sa vie, une jeune japonaise ; Huang Xiao-Ming, officier puis
général nationaliste, héros de guerre, tiraillé entre son devoir et sa
femme ; Zhang Ziyi, infirmière dévouée attendant le retour de son
mari ; Dawei Tong, jeune soldat nationaliste, tombé amoureux d’une
vrai-fausse femme. Histoire complexe et pourtant John Woo l’expose le plus
simplement du monde en prenant son temps. Les récits se tissent, se croisent,
divergent passant du romantisme pur à la comédie puis au mélodrame et à la
tragédie qui s’annonce. Car derrière ces histoires de chair, John Woo nous
dessine le tableau méconnu de cette Chine de la guerre civile, période rarement
représentée dans le cinéma chinois récent à part pour réaliser des films de
propagande (sur la grandeur du communisme). Ici tout est plus subtile dès la
première scène : l’affrontement titanesque entre l’armée japonaise (traitée
avec humanité et sans caricatures) et les forces nationalistes. L’absurdité, la
violence, la souffrance des deux camps sont parfaitement représentées.
L’idée
magistrale c’est l’introduction du taïwanais engagée de « force »
dans l’armée impériale qui permet l’évocation du passé de cette île. Par la
suite le film plonge dans les arcanes de la Chine nationaliste : à la fois
le courage de ses hommes qui ont supporté presque l’intégralité du combat
contre les Japonais, la corruption du système, la répression des opposants
(communiste), l’incapacité des généraux et la lente mort du régime à partir de
la perte de la Mandchourie en 1947. The Crossing réussit le tour de force de
nous offrir un petit cours sur l’histoire de la guerre civile nous expliquant
les raisons de la défaite finale. De même il est
assez frappant de voir comment John Woo parvient à slalomer entre les figures
imposées par la « censure » chinoise : critique du militarisme
japonais contrebalancé par la merveilleuse histoire d’amour entre Takeshi
Kaneshiro et la jeune japonaise, la force du parti communiste équilibré par
l’absurdité de cette guerre civile.
Il y a dans ce
film une illustration de la maîtrise technique et rythmique de John Woo. Les
scènes de guerre sont superbes, bien filmées, lisibles, nerveuses (un petit
regret, les CGI encore perfectibles).
Mais à côté les scènes de romance, intimistes, composant l’essentiel du film
sont extrêmement bien amenées. Facette aperçue déjà dans Red Cliff, ce John Woo apaisé montre qu’il est devenu un
réalisateur total. Et là où les films
d’Hollywood se perdent en mièvrerie, John Woo reste centré sur le cœur, le
réel, le drame. Le tout en se servant d’acteurs au sommet de leur art. Takeshi
Kaneshiro (quelle carrière pour le bonhomme), Zhang Ziyi (dont l’itinéraire
ressemble de plus en plus à celui de Gong Li) sont vraiment somptueux dans l’émotion. Mais la découverte du film c’est
Huang Xiao-Ming incarnation de la Chine déchirée, héros de guerre servant dans
le mauvais camp, déchiré entre son devoir pour une patrie en train de sombrer
et l’amour pour sa femme, future mère. Tant dans les scènes d’action que dans
les scènes de romance, il est superbe.
The Crossing Partie 1 frappe fort. Un grand, très grand John
Woo dans un genre où on ne l’attendait
pas. Et dire qu’au bout de deux heures le naufrage n’a toujours pas eu lieu,
c’est dire l’intelligence d’écriture et de mise en scène.
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