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nagasaki et les débats sur la bombe atomique

La bombe et l'histoire
70 ans après les faits, il y a deux questions que les historiens n'ont pas tranché et peut être n'arriveront-ils pas à le faire. Quelle a été la réelle motivation de l'attaque américaine, quels éléments a le plus pesé dans la capitulation japonaise entre les bombes et l'attaque soviétique ? Pour éclairer ce débat revenons sur les différents éléments et points de vue.



Pour les Américains, l'usage de la bombe a permis d'éviter une conquête du Japon sanglante (pertes estimées par les officiels américaines entre 1 et 1 millions et demi de soldats), d'épargner des vies japonaises et d'écourter la guerre. Cette thèse officielle est partagée par nombre de vétérans de la guerre à commencer par les pilotes des bombardiers atomiques. Du point de vue des soldats cette opinion est logique et justifiée à la fois par les violences commises par le Japon à Nankin, Bataan et les bains de sang lors des conquêtes d'Iwo Jima et Okinawa marquées par des suicides (forcés en partie) de milliers de civils japonais et une résistance acharnée des soldats nippons. En revanche si l'on se place du côté des chefs il y a matière à discussion. Eux-mêmes ont eu des doutes sur l'utilisation de la bombe et ont alterné des décisions parfois contradictoires. Ils envisagèrent par exemple sur les conseils d'Edward Teller de faire exploser la bombe de nuit au-dessus de la baie de Tokyo pour éviter les victimes civiles et servir d'avertissement. L'option fut rejetée. Mais dans le même temps parmi les villes ciblées figuraient Kyoto, la Florence du Japon qui n'échappa que par miracle à la destruction, choix étrange si l'on suit la volonté américaine de préparer la reconstruction morale du Japon par ce bombardement.

Notons aussi que l'efficacité des bombardements sur les villes est sujette à caution. Depuis le 24 novembre 1944, le Japon est matraqué par des vagues de  B29. A partir de février 1945 ce sont des raids incendiaires qui détruisent les principales villes du Japon dont Tokyo victime de la tempête de feu du 9-10 mars 1945 qui emportent 100 000 vies. Pourtant à l'instar de l'Allemagne, le Japon résiste tandis que de l'avis même des généraux américains la légitimité de ces attaques est remise en question. Un assistant du général Mac Arthur, le commandant suprême des forces alliées dans le Pacifique Sud-Ouest, évoqua le bombardement de Tokyo comme «l’un des massacres les plus impitoyables et barbares de non-combattants de toute l’histoire». Le général d’armée Curtis LeMay, qui s’était donné comme but de " ramener le Japon à l’âge de pierre » et était à la tête de ces bombardements sur les villes déclarait : "Nous avons intérêt à gagner, sinon nous serons condamnés pour crime de guerre". Et après Hiroshima les avis négatifs et pas des moindres se succèdent : dans ses mémoires le général Dwight Eisenhower, ancien président des États-Unis, fait part, dit-il " de la gravité de mes doutes. D’abord sur la base de ma conviction que le Japon était déjà battu, et donc que l’utilisation de la bombe était complètement inutile. Ensuite, parce que je pensais que notre pays devait éviter de choquer l’opinion mondiale en utilisant une arme qui, à mon avis, n’était plus indispensable pour sauver des vies américaines".  De la même manière, le chef d’état-major, l’amiral William Leahy, un partisan du New Deal, écrivit : « Les Japonais étaient déjà battus et prêts à capituler. L’usage de cette arme barbare à Hiroshima et à Nagasaki n’a apporté aucune contribution matérielle à notre combat contre le Japon. Les États-Unis, poursuivit-il, en tant que premier pays à utiliser cette bombe ont adopté des normes éthiques semblables à celles des barbares du Haut Moyen Age." D'autant plus que l'URSS depuis Postdam a promis d'entrée en guerre. 

Alors pour juger des bombardements atomiques il faut en fait dissocier Hiroshima et Nagasaki. L'usage de la bombe atomique d'Hiroshima est excusable voire justifié ne serait-ce que parce qu'elle a donné à l'empereur le prétexte imparable pour capituler malgré les extrémistes militaires. Et au Japon il n'y a pas de débat sur la légitimité de cette bombe. Pour Nagasaki les avis sont plus critiques. D'une part parce que dès le 8 août Molotov, ministre des affaires étrangères de Staline informe Sato l'ambassadeur du Japon à Moscou que l'URSS est en guerre contre l'empire nippon. D'autre part parce que le 9 août les forces russes déclenchent une offensive foudroyante qui va détruire une armée japonaise d'1 million d'hommes et les amener en Corée en moins de 15 jours. Pour les Japonais cette déclaration de guerre met fin à leur ultime espoir d'une paix négociée par l'entremise de Moscou. "Nous rejetons la reddition inconditionnelle... et, afin d'éviter une telle issue à la guerre, nous cherchons un accord de paix... grâce aux bons offices de la Russie" déclare Tojo le 21 juillet 1945, trahissant l'illusion dans laquelle se berce le gouvernement japonais. Pour Hiro Hito le spectre d'une occupation du pays par les Russes est plus intolérable que la tutelle américaine. Alors pourquoi une seconde bombe ? trois thèses viennent compléter celle du raccourcissement de la guerre. Un test militaire d'un second type de bombe, un avertissement à Staline et surtout accélérer la reddition du Japon afin d'éviter une occupation russe de l'île. Citons pour terminer ce haut responsable qui illustre l'état d'esprit des dirigeants japonais en ces jours d'août 1945.

"(...) mais je pense que les bombes atomiques et l'entrée soviétique dans la guerre sont, en un sens, des dons divins. De cette façon, nous n'avons pas à dire que nous avons capitulé en raison de circonstances intérieures" Mitsumasa Yonai ministre de la marine

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