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le pueblo

Le doigt de l'honneur

Cette photographie prise en 1968 d'un équipage de marins prisonniers des Nord coréens recèle un double secret  : pourquoi ce geste du majeur, comment ont-ils été capturés ? C'est l'histoire du Pueblo, un des pires ratés de la Navy au cours de la guerre froide.


Le 28 janvier 1968, alors que la guerre du Vietnam fait rage et que les tensions dans la péninsule coréenne n'ont pas baissé d'un cran depuis le cessez le feu de 1953, le Pueblo navire espion de la marine des Etats-Unis vogue dans les eaux nord-coréennes. Officiellement, il est censé dresser la topographie les fonds sous marins de ces côtes soit disant méconnues, en réalité il mène une opération de renseignement des ports nord-coréens, captant les communications, enregistrant les mouvements de navire. Pour la Navy c'est une mission de routine sans risque puisque le Banner, navire jumeau du Pueblo est rentré sans incident d'une mission identique. Mais ce 28 janvier tout dérape.


Avant même que la mission ne commence la NSA s'oppose à une telle missions car en Corée du Nord la situation est orageuse. La radio officielle vient de diffuser une menace claire contre tout navire espion américain surpris dans les eaux territoriales. Le 21 un commando nord-coréen a attaqué la maison bleue et réussi à pénétrer loin dans l'enceinte avant d'être intercepté. Pour la NSA, une telle mission doit être soutenue par un soutien aérien au cas où les choses se gâtent. Mais la Navy refuse car explique-t-elle si le navire est capturé, on prendra un des leurs et on fera un échange comme avec les russes !!! sauf que les navires nord-coréens ne sortent pas de leurs eaux territoriales à la différence des vaisseaux espions russes. Le 11 janvier le Pueblo appareille de Sasebo au Japon. Le temps est glacial,  oblige l'équipage à dégager régulièrement la glace du pont. Deux incidents minimes surviennent le 20 et 22 janvier quand deux chalutiers et un patrouilleur nord-coréen s'approchent du navire dans les eaux internationales puis repartent. Le capitaine décide de poursuivre. Le 23 le Pueblo est au large de Wonsan, port de Corée du Nord à collecter les infos mais toujours dans les eaux internationales. Mais cette délimitation la Corée du Nord ne l'a jamais reconnue. Et alors que le navire est en pleine opération de collecte un patrouilleur surgit et intime l'ordre au navire de mettre en panne. La capitaine hisse le pavillon de recherche océanographique en pure perte car trois vedettes lance-torpilles nord-coréennes viennent d'apparaître. Le Pueblo qui tente de gagner le large reçoit un tir nourri d'obus et de balles de mitrailleuses et de roquettes tirées par deux MIG 21 venus se joindre à la poursuite. Le navire américain est peu armé (ses mitrailleuses n'ont pas été montées de peur de dévoiler la couverture) et le sabordage est inutile dans des eaux peu profondes (55 mètres). En hâte le capitaine fait envoyer deux messages flash à sa base, le second requérant une aide immédiate. Des chasseurs US décollent effectivement d'Okinawa pour faire aussitôt demi-tout suite à un contre ordre. L'USS entreprise dont les avions sont à moins de 90 minutes n'intervient pas car son capitaine ne comprend pas qui a envoyé ce message d'alerte flash car il n'a pas été informé de cette mission.


Le capitaine n'a plus qu'une alternative : combattre et être détruit ou se rendre en sauvant son équipage mais en perdant son honneur. La mort dans l'âme il choisit d'obéir aux nord coréens tout en tâchant de détruire un maximum de documents et matériels et de gagner du temps.   Mais les Nord Coréens s'agacent, une nouvelle salve frappe le navire et tue un marin tandis que des groupes d'abordage prennent pied sur le navire. L'équipage non formé n'a pas pu détruire la montagne de paperasse : 10 % des documents regroupant les listes des cibles du renseignement dans le pacifique, les livrets de communication des flottes américaines, japonaises et même de l'OTAN ainsi que les fréquences des codes chinois, russes espionnés par les USA, ont été détruits. Plus grave, les précieux équipements d'espionnage, dont le KW 7 émetteur-récepteur ultra moderne dont il n'existe que 5 exemplaires, ont été pris. Seul l'appareil ne vaut rien mais avec les codes de cryptage mis à jour tous les jours et donnés aux Russes par John Walker Jr et Jerry Whitworthil (des agents doubles qui informeront l'URSS jusqu'en 1985)  il va permettre aux Russes à qui les nord-coréens livrent ma machine de lire les communications de la NAVY. En tout 360 kg de matériel filent en URSS, un "coup majeur" selon la NSA. 

Pour l'équipage du Pueblo, le calvaire commence. Considéré comme des espions, il ne peut bénéficier de la protection de la convention de Genève. D'ailleurs les Nord-coréens n'ont que faire de ces accords. Le capitaine est soumis à un simulacre d'exécution et forcé de signer de faux aveux. Les marins sont frappés, torturés. Ce que veulent leurs geôliers ce ne sont pas des secrets mais une confession des complots fomentés par les Etats-Unis et la Corée du Sud contre la Corée du Nord. Les marins résistent. L'un d'eux raconte qu'un jour à la télévision les gardiens voient un anglais faire un geste obscène à l'encontre du bus de l'équipe de football de Corée du Nord. Ne connaissant pas le sens de ce geste, les gardiens se laissent berner par les prisonniers qui leur affirment que c'est un geste amicale. Les marins sont autorisés à faire ce geste sur les photos de groupe jusqu'à ce qu'une indiscrétion du Time Magazine en octobre 1968 dévoile le subterfuge. La sanction sera terrible lors de la Hell week, passages à tabac pendant 6 heures pendant 5 jours. Pourtant en secret les négociations progressent. Le 19 décembre un accord est obtenu en échange de la formulation d'excuses de la part des USA pour avoir violé les eaux territoriales nord coréennes. Le 23 décembre les prisonniers sont conduits en Corée du Sud.



Une affaire aux conséquences lourdes et étrangement la Navy n'en tirera que peu d'enseignement. Malgré le matériel saisi, la Navy ne change pas les équipements de ses navires ni ne revoit le protocole d'escorte de ses missions.

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