Le philosophe suisse Alain de Botton propose une réponse iconoclaste à cette interrogation au centre des réflexions des urbanistes et architectes depuis l'Antiquité. Loin de poser la beauté comme uniquement subjective, il part du constat simple qu'il y a une raison profonde pour laquelle les gens préfèrent partir en week end à Paris plutôt qu'à Francfort. Cette raison c'est l'attractivité, une notion englobant un ensemble de 6 critères . Dans sa démarche il y a d'abord une volonté nette de pointer du doigt la récupération immobilière de la "subjectivité de la beauté". En effet derrière cette doxa, des promoteurs peu scrupuleux ont pu massacrer allègrement des paysages entiers, détruire des quartiers anciens, multiplier les constructions en béton préférant la masse à la quantité. Combien de promoteurs (voir article) ont pu ainsi faire passer des verrues infâmes comme des expression du modernisme ? combien aussi de mauvais architectes ont caché leur méconnaissance des principes de base de l'architecture (voir l'article sur le brutalisme) en s'abritant derrière ce relativisme esthétique ? n'oublions pas aussi des erreurs politiques où pressés par le temps, les responsables ont opté pour des solutions rapides sans se préoccuper de l'intégration du singulier au global. Il y a enfin une envie louable de définir des critères permettant de guide la réflexion et les futurs projets urbains.
Critère n° 1 : variété et ordre
Deux principes souvent perçus comme contradictoires. Pourtant depuis les premières cités grecques l'ordre, la symétrie ont été la base dans la construction urbaine. La difficulté c'est que cela signifie la répétition et donc l'ennui. C'est ainsi que l'organisation doit laisser place à de la variété. Paris en est l'exemple absolu. L'ordre haussmanien, un équilibre dans la hauteur crée une lisibilité à travers lequel se déploie des couches d'histoires urbaine. A l'inverse des villes chaotiques repoussent (Los Angeles).
Critère n ° 2 : une touche locale
Presque la conséquence du critère numéro n°1, les gens aiment que les bâtiments n'aient pas partout la même apparence et qu'ils aient une touche distincte. Cela explique l'intérêt en Occident de la protection du patrimoine, le drame en Chine de la destruction des villes anciennes ou la froideur de la capitale brésilienne Brasilia. Cela explique aussi l'étonnant créativité des architectures dans la constructions des buildings.
Vieux Lille
Critère n° 3 : une vie visible
C'est un des points les plus complexes à saisir et à produire. Susciter une interaction entre l'architecture et la fréquentation. La piétonnisation des centres ville en France notamment a répondu à cette politique de sauver les centre villes. Le regard est attiré par ces lieux riches de vie : que l'on regarde Venise dans les peintures de Canaletto ou Hong Kong au cinéma voire le quartier de Shibuya. Le problème c'est que cette attractivité suscite l'extrême concentration d'où la nécessité de déployer la fréquentation en aménageant les quartiers périphériques (voir la High Line de New York ou la renaissance de Vieux Lille).
Shibuya
Critère n° 4 : compacte
Voici une idée directement inspirée des architectes grecs et de la renaissance. La ville idéale est carrée générant non de la claustrophobie mais une sensation douce de regroupement. La ville moderne qui s'est étendue à l'infini (Los Angeles), qui a expérimenté des formes tentaculaires (Phoenix) a distendu les liens humains et dilapidé l'énergie née de nos interactions. C'est pourquoi chaque ville possède de large places carré ou rectangulaires pour susciter cette interaction. Mais attention ces places doivent conserver des dimensions humaines pour ne pas diluer l'effet. L'idéal ce sont la Grand Place de Lille, place de la Brèche de Niort, la playa mayor de Salamanque. A éviter la place Tien Amen, trop grande.
Playa Mayor Salamanque
Critère n° 5 : Orientation et mystère
Autre paradoxe urbain. Nous aimons la ville pour sa grandeur mais aussi pour l'existence d'arrière cours, de ruelles qui se révèlent au gré d'une promenade (Lyon les Traboules). La ville doit échapper à notre regard, être un organisme en évolution révélant des pans oubliés de son histoire. Mais une ville constitué uniquement de ruelles étroites déplait aussi rapidement à cause de la notion de vis à vis (surtout en Occident) à par les problèmes de circulation. C'est pourquoi les urbanistes doivent trouver le point d'équilibre entre petites rues et grands axes, les unes offrant le mystère, les autres permettant l'orientation, le déplacement.
Bruges
Critère n° 6 : échelle
Joseph Campbell a peut être trouvé la formule la plus juste pour montrer l'interaction entre architecture et société : "Si vous voulez voir ce en quoi la société croit vraiment, regardez à quoi sont dédiés les plus grands immeubles à l'horizon". Avant les lieux de culte, les palais royaux ou princiers dominaient ; maintenant ce sont les sièges sociaux des entreprises financières, pétrolières, les hôtels ou tours pour habitants aisés qui surplombent. Les immeubles de grand taille ne sont pas nécessairement un mal s'ils sont dédiés à un thème qui peut fédérer la communauté et non conçus comme un régie publicitaire ou un hymne à la cupidité. Le philosophe enfonce le clou en préconisant des immeubles de 5 étages maximum dans les centres ville, à contre courant avec les tendances actuelles et les soucis d'hyper densité. Si cette thèse est difficile à tenir, elle repose sur un postulat intéressant : les urbanistes et pouvoirs publics se soucient de ceux qui possèdent le terrain et non ceux qui possèdent l'espace, qui ont le droit de l'air (c'est à dire ce que l'on peut voir depuis sa fenêtre).
Commentaires
Enregistrer un commentaire