L'incident "bienvenu"
La fraction ultra-nationaliste de l'armée japonaise a multiplié pendant les années 1930 les provocations et faux incidents pour justifier sa politique agressive. Symbolisée par le rôle d'Ishiwara Kenji, elle n'a reculé devant rien pour provoquer le basculement fatal : l'assassinat politique comme au moment de l'incident de Huanggutun en 1928 qui causa l'explosion du train conduisant le seigneur de guerre Zhang Zuolin, le faux attentat de Moukden de 1931 improprement attribué aux Chinois qui justifia l'invasion de la Mandchourie, l'incident du pont Marco Polo le 7 juillet 1937 qui servit de justification à l'invasion totale de la Chine. Mais aucun de ces incidents "construits" (opération dite sous fausses bannières) n'eut autant qu'impact que la mutinerie de Tongzhou qui exacerba les sentiments anti-chinois et donna aux ultra-nationalistes la caution morale qui leur manquait.
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Soldats Japonais devant les ruines de Tongzhou |
L'affaire se déroule le 29 juillet 1937. Les tensions entre la Chine et le Japon s'accroissent depuis l'affaire du pont Marco Polo. Prétextant une "attaque" et l'enlèvement d'un de leurs soldats par les Chinois, les forces nippones présentes autour de Pékin multiplient les actes d'hostilité et les forces chinois les actions défensives
- le 20 juillet Wanping est bombardée par les nationalistes
- le 26 juillet un affrontement à Langfang, sur la route Pékin-Tianjin oppose les forces japonaises et chinoises
- le 29 juillet aux porte de Guang'anmen à Pékin un combat éclate
- du 25 au 31 juillet éclatent toute une série d'incidents connus comme la bataille de Tianjin-Beijing
Dans tous ces incidents les victimes encore faibles sont essentiellement des militaires. Le 29 juillet va survenir un incident d'une toute autre ampleur plongeant ses racines dans le chaos politique de la Chine du Nord-Est.
Le décor du futur drame c'est la cité de Tongzhou. Cette ville à 30 km à l'Est de Pékin occupe une place étonnante symptomatique des marasmes politiques des années 1930. Elle est en effet le siège du conseil autonome du Hebei oriental, un gouvernement collaborant avec le Japon. Né en 1935 après la création d'une zone démilitarisée entre Pékin et Tianjin, le gouvernement de Jin Yu Keng a pris ses distances avec Chiang Kaï Chek et signant des accords commerciaux et militaires avec le voisin japonais, espérant profiter de l'éclatement de la Chine pour se bâtir un Etat autonome. Or si le gouvernement est pro-japonais en apparence, en secret il nourrit des inquiétudes. La politique japonais dans le Mandchoukouo l'inquiète, le fonctionnement de cet état fantoche ne lui laisse que peu d'espoir sur l'autonomie réelle qu'il peut attendre des Japonais. Il décide donc de changer de camp et de se rapprocher des Chinois nationalistes. Il a pris langue avec le général Song Zheyuan commandant la 29è armée et compte sur son soutien pour chasser la garnison japonaise.
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les survivants japonais de la mutinerie |
800 hommes appartenant à la 29è armée viennent alors camper au pied de la muraille de cette ville le 27 juillet. La garnison japonaise leur demande alors de déposer les armes Devant leur refus, les forces nippones attaquent les soldats chinois depuis l'extérieur. Mal armés, les nationalistes sont repoussés et bloqués contre les murailles de la ville. Mais leur résistance farouche impressionne les forces du gouvernement collaborateur, en particulier les 1er et second corps de l'armée du Hebei Oriental qui refusent de se joindre à l'assaut. Les Japonais furieux bombardent les casernes de leurs alliés au matin du 28 juillet, peut être informés ou conscients que ceux-ci ont changé de camp. Cette attaque provoque la mutinerie des deux corps d'armées de l'Hebei oriental, soit 5 000 hommes qui se révoltent et attaquent les soldats japonais et tous les ressortissants nippons présents dans la ville. Les deux forces chinoises réunies tuèrent environ 260 civils en plus de pertes militaires encore mal connues. 60 civils purent fuir la ville qui fut pratiquement incendiée. Plusieurs témoins cités lors des procès de Tokyo ont rapporté la violence des troupes mutinées
Xuan Wu
- "la ville était misérable, partout où il allait, il y avait plein de ressortissants japonais dont les corps pendaient au bout d'une corde (...) Cependant, cet événement est trop cruel! Je ne oublierai jamais"
- "Voici ce que j'ai vu dans le restaurant appelé Xu Xuan. J'ai vu sept ou huit femmes violées, ces femmes avaient entre 4 ans et l'adolescence. Quatre, cinq femmes avaient des baïonnettes dans leurs parties génitales..."
- "Dans l'auberge de Kam Shui Lou c'est aussi une histoire très tragique. La serveuse a déclaré que son patron a eu les mains et les pieds attachés avant d'être décapité...
Fumio Sakurai
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"Jusqu'à minuit la traque des survivants a continué. Des enfants ont été tués dans les bras de leurs mères."
- "Dans un restaurant, j'ai vu un homme avoir ses mains et sa tête coupée. Quatorze ou quinze femmes ont été violées. Je suis allé au restaurant "Xu Xuan", j'ai vu 7 ou 8 corps nus de femmes qui avaient été violées, poignardées avec des balais dans leurs organes génitaux.
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journal japonais titrant sur l'incident |
Des scènes atroces qui rappellent les actes quasi identiques mais plus massifs que
commettront quelques mois plus tard les Japonais à Nankin. L'impact de la mutinerie est colossal. Stratégiquement c'est une victoire sans lendemain. Car si les Japonais sont chassés de la ville, très vite d'autres forces sont envoyées qui écrasent les forces chinoises. Jin Yu Keng est capturé mais échappe à l'exécution. L'armée du Hebei eSt dissoute ainsi que son gouvernement, absorbé par le gouvernement provisoire de la république de Chine, un nouvel Etat fantoche. Pour les ultra nationalistes japonais l'incident est une aubaine. Diffusé par tous les médias de l'archipel il suscite une violent ressentiment anti-chinois. Les militaires se sentent alors les coudées franches pour attaquer toute la Chine prétextant la protection de leurs citoyens. Ils montreront aussi les images des atrocités pour justifier leur propre violence à l'égard des populations chinoises.
En multipliant les provocations la faction ultra- nationaliste de l'armée est parvenue à faire commettre un faux pas à la Chine. Cet incident révèle un parallèle étonnant entre les Etats japonais et chinois des années 1930. Le politique contrôle mal les militaires qui agissent en totale impunité. C'est extrêmement saisissant au Japon où l'armée du Kwantung puis les armées de Chine mènent leur propre guerre et forcent la main des quelques responsables politiques raisonnables. Mais c'est aussi vrai en Chine où les généraux nationalistes se prennent parfois pour des seigneurs de guerre. C'est mutinerie va être l'ultime vague qui emportera les dernières résistances japonaise à la guerre générale contre la Chine avec son cortège d'exactions innombrables.
le terrain était déjà favorable... depuis la première guerre sino-japonaise (1894) les officiers colportaient les récits des atrocités subies par de jeunes conscrits japonais (enterrés vivants...). Le massacre de Tongzhou permettait de consolider et d'actualiser l'image déshumanisée du chinois arriéré et barbare qu'on devait traiter sans pitié... et ainsi justifier à priori les atrocités à grande échelle qui allaient suivre, pour le plus grand malheur des populations civiles chinoises :(
RépondreSupprimerexactement. Un opération de propagande bien orchestrée...
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