1962, le Tiers-mondisme a vécu
C'est un conflit qui a longtemps été minoré en Occident. En octobre 1962 à plus de 5000 mètres d'altitude les deux géants de la cause du Tiers Monde s'affrontent. A ce moment là le monde a les yeux braqués sur Cuba et les risques imminents de conflagration nucléaire. Est-ce un hasard si c'est précisément à ce moment que Mao déclenche l'agression ? connaissant le sens tactique du dictateur chinois, il est permis de douter. Ce conflit qui tire sa source des tensions au Tibet va provoquer des conséquences largement supérieures à l'ampleur modérée des combats.
Cette guerre a étonné et surpris les observateurs. En effet au début des années 1960 Chinois et Indiens sont proches. Leaders de la cause tier-mondiste, inspirateurs de la conférence de Bandoeng, ils sont en outre dans le camp communiste. Certes l'annexion par les communistes du Tibet en 1950 a ravivé les revendications frontalières mais en 1954 les deux nations ont signé l'accord des Cinq Principes de Coexistence Pacifique par lequel elles s'engagent à régler par la diplomatie leurs différends. L'Inde a présenté une carte de la frontière qui a été acceptée par la Chine et le slogan Hindi-Chini Bhai-Bhai (Indiens et les Chinois sont frères) était populaire à l'époque. Pour comprendre les raison qui poussent ces deux pays à entrer il faut analyser en détails le contexte. Côté chinois c'est le problème Tibétain qui envenime la situation. En effet en 1959 la province est le théâtre d'une vaste révolte violemment écrasée. Le dalaï-lama est contraint de fuir et il reçoit l'asile politique de l'Inde. Cet accueil est très mal perçu par Pékin d'autant que les négociations concernant les disputes frontalières piétinent. En effet depuis 1914 et la conférence de Simla, c'est la ligne MacMahon (du nom d'un diplomate britannique) qui fixe la frontière entre le Tibet et l'ancienne Inde britannique. La Chine de l'époque refusa de ratifier cet accord et c'est au nom de ce principe que la Chine de Mao conteste encore au début des années 1950 ce tracé. De plus l'Inde et l'URSS multiplient les actes qui sont perçus comme autant d'actes hostiles : en 1959 l'URSS prend le partie de l'Inde lors d'une rencontre avec Mao ; en 1961 en application de la forward Policy, l'Inde installe de nouveaux postes militaires dans les régions disputées. La Chine a le sentiment d'être menacée de tous les côtés : par l'Inde au Sud, l'URSS au Nord et les Etats-Unis à l'Est. Côté indien la méfiance a très vite aussi remplacé la bonne entente née des solidarités post décolonisation. Nehru en 1958, avait en privé déclaré à G. Parthasarathi, l'émissaire indien en Chine de ne pas faire confiance du tout aux Chinois et de lui demander de lui transmettre directement les informations sans passer par son ministre de la défense V.K. Krishna Menon dont les idées communistes le rendaient suspect. De même les coups de force successifs de la Chine - contre Taïwan en 1958 et le Tibet 1959 - ont inquiété les dirigeants indiens. C'est pourquoi l'Inde installe en 1961 ses garnisons qui n'hésitent pas à franchir la ligne MacNahon. Dans l'esprit de Mao ce ne peut être que le prélude à une intervention en force au Tibet.
Tout l'année 1962 est marquée par une série d'incidents frontaliers
- 350 soldats chinois encerclent le poste indien de Chushul (nord de la ligne McMahon) puis se replient
- le 11 Septembre, Nehru annonce que «tous les avant-postes et patrouilles ont reçu l'autorisation de tirer sur tout soldat chinois présent sur le territoire indien"
- début octobre 1962 à Thag La un accrochage sévère implique les deux armées qui perdent chacune une trentaine d'hommes
Des deux côtés on se prépare à un affrontement. L'Inde veut tester la détermination et les intentions chinoises à son égard, voir si elle jouirait du soutien soviétique dans le cas d'une guerre sino-indienne et se rapprocher des Etats-Unis avec qui les relations s'étaient détériorées après l'annexion indien de Goa. Mais côté indien l'affrontement est conçu comme modéré, on ne parle pas de guerre. En conséquence seules deux divisions sont déployées dans le secteur effectif jugé suffisant compte tenu des réactions chinoises pendant toute l'année 1962. L'armée chinois s'est à chaque fois retirée. C'est une erreur car du côté de Mao la guerre est préparée avec minutie. D'importantes troupes et groupes d'artilleries ont été ramenés depuis la région en face de Taïwan. La Chine envisage de frapper en force à l'Ouest au Tibet mais aussi à l'Est de l'Inde vers l'actuel Bangladesh. Elle se prépare à un guerre limitée dans le temps mais aux objectifs ambitieux
- endommager le prestige de Nehru en exposant la faiblesse Indien.
- montrer que la politique de soutien de Khrouchtchev envers Nehru est une trahison du camp socialiste
Habilement la Chine profite de la situation cubaine pour masser ses forces. L'attaque était planifiée avant la crise des missiles mais celle-ci va lui offrir une opportunité unique. Le 20 octobre 80 000 soldats chinois déferlent sur les positions tenues par moins de 12 000 soldats indiens dispersés et mal armés lors de deux offensives à 1000 km de distance. A l'Est l'avancée chinois est rapide et les soldats indiens évacuent leurs positions sur la frontière. Les régiments chinois s'emparent du territoires contesté et stoppent. La même manoeuvre se déroule à l'Ouest dans l'Aksai Chin. La Chine progresse de 50 km récupérant toute la zone revendiquée. Nehru réalise enfin que la menace chinoise est sérieuse. Mais il est trop tard, quatre jours après le début de la guerre elle est déjà finie ou presque. Les timides contre offensives indiennes sont toutes brisées par l'armée chinoise qui ne pousse pas plus loin son avantage. Dès le 24 octobre Zhou Enlai a envoyé un message à Nehru pour établir les bases d'un cessez le feu. L'inde l'acceptera finalement le 22 novembre. Militairement l'Inde est vaincue : 1500 morts, 1000 blessé, 2000 disparus et 4000 prisonniers contre 2000 chinois hors de combat. La Chine quitte ses conquête sauf l'Aksai Chin qu'elle annexe. Pour Mao après les échecs contre Taïwan c'est un succès total.
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soldats indiens prisonniers |
Les conséquences de cette victoires sont nombreuses. Pour l'Inde c'est une cruelle désillusion et une crise politique et militaire majeure qui l'a contraint de solliciter l'aide militaire des Etats-Unis. Le Non-alignement est fini. D'autant qu'en 1963 la Chine et le Pakistan l'ennemi héréditaire de l'Inde s'allient, la tension entre les deux géants d'Asie ne retombe pas. Pour la Chine la victoire accentue le divorce avec l'URSS qui a pris le parti de l'Inde. Cette victoire en sécurisant la frontière tibétaine fait naître chez Mao et les dirigeants une nouvelle crainte : l'alliance entre les Etats-Unis, l'URSS et l' Inde. Toute la diplomatie de la fin des année 1960 visera à la rendre impossible en opérant le virage historique du rapprochement avec Washington. Militairement cette victoire à 8 contre 1 fait naître un sentiment exagéré de puissance militaire qui conduira la Chine à engager imprudemment deux conflits limités, contre l'URSS en 1969 le long du fleuve Amour et en 1979 au Vietnam, deux guerres qui vont révéler l'ampleur du retard de l'armée chinois, entamer son prestige et provoquer une remise en question globale de sa pensée militaire.
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