A redécouvrir

warriors of the rainbow : seediq bale

Once upon a time in Taïwan



Il y a des projets de films qui en période de nationalisme renaissant semblent dangereux. Il y a des films qui une fois vus réussissent là où les politiques échouent : parler avec recul du passé commun et tisser des liens par de là  les conflits de mémoire. Warriors of the rainbow  : seediq bale fait partie de ces oeuvres, imparfaites mais généreuses, intelligentes et qui nous marquent longtemps.

Son scénario nous emmène à Taïwan au début du XXè siècle. L'île est peuplée en son centre de tribus aborigènes farouchement indépendantes et redoutables sur un champs de bataille. Alors que la jeune puissance japonaise vient de triompher de la Chine et entend imposer son ordre sur toute l'île, Mouna Rudo, un guerrier de la tribu aborigène Seediq, organise la rébellion de son peuple contre l’occupant japonais. Les 300 hommes de Rudo, armés de vieux pistolets, de lances et d’armes rudimentaires, vont devoir affronter une armée de 3000 hommes afin de défendre leur terre, leur dignité et leur honneur. Le film est une fresque sur 30 ans autour de ce guerrier : tour à tour rebelle, soumis. Il se base sur des événements réels : la guerre de conquête de 1915-1917 et la révolte des seediq menant à l'incident de Wushe c'est à dire le massacre d'une centaine de civils japonais dont beaucoup de femmes et d'enfants. D'emblée il faut pointer du doigt le seul défaut du film : sa longueur. Originellement il dure 4h 40 et devait être diffusé en deux parties comme pour la version chinoise des Trois Royaumes. Mais malgré la présence à la production de John Woo (le réalisateur des trois royaumes), les distributeurs ont imposé un film plus court : 2h 30. Donc le film va vite, il y a des ellipses, il manque ces deux heures où le réalisateur montrait la soumission des seediq, l'acculturation forcée puis la maturation de la révolte. Tout ceci est évoqué pour faire la place au spectacle. Alors oui face à ce qui aurait pu être une oeuvre fleuve, les fines bouches vont se plaindre, crier au scandale mais regardons ce que nous avons et force est de constater que nous avons un sacré bon film.

D'abord c'est un mixte entre Apocalypto et Yamada le samouraï d'Ayothaya. Les scènes de combat sont excellentes tout au long du film. De la scène d'ouverture où deux tribus s'affrontent, aux combats contre les Japonais jusqu'au drame final, l'ensemble est superbement mis en image. Le réalisateur Wei Te-Sheng est très doué. Il donne un souffle épique à toutes ses scènes d'actions profitant à la fois d'un budget conséquent (25 millions de dollars), de décors formidables, de costumes, maquillages beaux et d'un sens aigu du spectacle. Ces scènes malgré le nombre d'acteurs sont rythmés et très lisibles. L'aspect barbare des seediq est filmé avec beaucoup de poésie, la chorégraphie des combats est très bien calibrée. La photographie et la lumière permettent d'enrichir les combats de plans quasi oniriques. Les paysages sont tout simplement grandiose : jungles, rivière, torrents. Ils forment un écrin qui n'est pas sans rappeler le travail de Gibson. 

Ensuite c'est une oeuvre admirablement interprétée. Les acteurs côté seediq font bien ressentir cette culture très sauvage cohabitant avec l'extrême sensibilité, cette force de l'ancêtre, cette symbiose avec la nature. Les deux acteurs choisis pour jouer Mouna jeune puis vieux montre bien l'écartèlement psychologique de cette tribu et le drame personnel qui se joue. Très charismatique leur rôle s'apparente à une tragédie grecque : quelque soit leur choix, il condamne leur tribu à une disparition soit culturelle soit physique.  Et physiquement ils gèrent parfaitement les scènes d'action. Et pour les Japonais le casting est top : entre le fonctionnaire violent et sadique, l'humaniste, les militaires épris de bushido, les acteurs font ressentir parfaitement l'ambiguïté, le double langage de ce Japon impérialiste.

Enfin il y a le propos. Malgré les coupes, le raccourcissement le réalisateur arrive à nous faire passer son discours. Le montage est très intelligent. Beaucoup de détails sont importants, qui échapperont peut être à un public occidental moins au fait de l'histoire.  Ce n'est pas un film anti-japonais malgré l'action violente de son armée. Loin s'en faut. le propos est beaucoup plus subtil. C'est un plaidoyer contre la colonisation et le double langage. Ainsi l'armée japonaise et les fonctionnaires ne sont pas caricaturés. Au contraire en brossant le portrait de plusieurs officiers et policiers, le film montre comment la bêtise de l'un engendre la frustration et la colère des tribus. Pour preuve la très belle scène montrant d'un côté le district de Wushe en proie aux massacres et un autre district plus calme parce que son responsable est humaniste. Le film n'hésite pas à filmer l'extrême barbarie : celle des seediq et leur pratique de décapiter leurs adversaires, celle de l'armée japonaise employant les moyens les plus modernes pour châtier les rebelles. C'est aussi un film sur le choc : entre les cultures ancestrales et les civilisations dites modernes. Il distille ainsi de purs moments oniriques  et mystiques (la cascade) pour plonger dans l'âme de ces tribus. Le film n'idéalise en rien. S'il prend partie pour le petit écrasé par le géant, il n'édulcore pas la part trouble de sa culture : l'arrogance du chef, l'absence de libre choix (pression sur les seediq qui ont choisi de s'intégrer) et la cruauté d'un massacre visant avant tout des civils. 

Tout dans le film pouvait faire redouter le pamphlet nationaliste. Au final c'est un film profondément humain, intelligent et spectaculaire. Un film qui comme Far Way rapproche au lieu de diviser.



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