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Suisse Japon : il y a 150 ans Aimé Humbert obtient la signature du premier traité

Le 6 février 1864 la Confédération Helvétique et le Taikun, c'est-à-dire le (147 et avant-dernier) Shôgun, Tokugawa Iemochi (1846-1866) signent le traité de commerce et d'amitié. Une signature qui va au-delà de la simple ouverture économique. Les deux pays sont très éloignés,  encore en maturation politique : une nation encore féodale, une mosaïque ethnique ayant juste réglé ses conflits intérieurs  (guerre du Sonderbund). Mais en ce milieu du XIXè siècle, le jeune japon a faim d'industries et ne rêve que d'Europe tandis que la Suisse s'affirme en puissance industrielle.


La Suisse arrive sur la scène japonaise après les principales puissances européennes et occidentales. Depuis l'arrivée du Commodore Perry et de sa flotte dans la baie d'Uraga en 1853 et le premier Traité de Commerce et d'Amitié avec les Etats-Unis d'Amérique de 1858, le gouvernement japonais avait signé des traités similaires avec la Hollande, la Russie, la Grande-Bretagne et la France. Pressé par les Européens et effrayé par la colonisation, le pays du soleil levant a choisir la voie de la modernisation accélérée. Au lieu de s'opposer aux occidentaux, il va s'ouvrir et capter leurs innovations. Ce changement radical arrive aux oreilles des Suisses qui envoient vers Edo une première mission. en 1859 celle de Rudolf Lindau  qui revient avec la seule promesse de traiter la Suisse de manière prioritaire quand le Japon sera prêt à négocier de nouveaux traités.  La Suisse est en effet en plein croissance industrielle, son industrie horlogère déjà une référence mais son exiguïté géographique et démographique l'oblige à chercher de nouveaux débouchés. En pleine course coloniale, la Suisse n'a pas les mêmes armes Il lui faut choisir une voie autre : coopération plutôt que la diplomatie de la canonnière.

C'est à Aimé Humbert, politique chevronné, pédagogue qu'échoit la tâche d'obtenir la signature du traité. Il part en 1863 et reste un an au Japon. Ce grand curieux va explorer le Japon intime et rédige un des premiers récits de voyage sur le Japon en langue française.
Une année entière à négocier et essayer de comprendre la mentalité des dirigeants japonais, une année à tisser des liens en particuliers  avec le ministre hollandais  Dirk Graeff van Polsbroek qui lui fera profiter de ses réseaux et de son expérience pour mener à bien sa mission. Le 6 février 1864 le traité est signé. Il marque d'abord le début de nombreuses et fructueuses activités commerciales suisses, exportant vers le Japon armes, montres, instruments de précisions etc et exportant vers la Suisse le précieux fil de soie. Les firmes commerciales Favre-Brandt, Sieber-Hegner, Liebermann-Wälchli  s'établissent et commencent à prospérer à Yokohama, puis à Osaka-Kôbe. Les deux nations font montre d'une curiosité réciproque renforcée par des similitudes/fascinations communes : les montagnes. Dès 1867 une délégation japonaise gagne la Suisse  présidée par le Prince Tokugawa Akitake. Des étudiants, par exemple Ôyama Iwao, le futur maréchal, qui étudia à Genève de 1870 à 1874, suivront. Un programme d'échanges de bourses entre les deux pays au niveau  continue aujourd'hui cette tradition. Première délégation officielle du nouveau régime impérial japonais, la célèbre Mission du Prince Iwakura Tomomi (1825-1883), lors de son tour du monde, visitera la Suisse en juin 1870, s'intéressant entre autres à la neutralité permanente, à la Croix-Rouge naissante et au système suisse de milice. Les liens entre les deux nations se renforcent : des entreprises suisses s'installent au Japon, telles Nestlé, CIBA (aujourd'hui Novartis) dès le début du 20è siècle.

Les liens entre les deux nations vont même s'enrichir d'histoires étonnantes.En pleine révolution Meiji, le jeune empereur décide de séparer le bouddhisme et le shinto, le bouddhisme ayant été en effet très lié au shogunat et ainsi de renforce la place de l'empereur en s'appuyant sur le culte shinto. Plusieurs temples bouddhistes furent détruits. Ainsi celui de  Honsen-ji est incendié en 1867 et la cloche, seule rescapée du sinistre, disparaît. Elle aurait peut être été exposée lors des expositions universelles de Paris et de Vienne en 1867 et 1876.   En 1873, elle est redécouverte puis achetée  par le collectionneur genevois Gustave Revilliod à la fonderie Rüetschi d'Aarau. La cloche est installée dans le parc de son Musée Ariana à Genève.  En 1919 une délégation japonaise la reconnaît et l'identifie et 10 ans plus tard la ville de Genève la restitue. Son retour à Shinagawa se fait dans la liesse populaire. En 1990 une réplique de la cloche est fondue et baptisée à Shinagawa, en présence des autorités de la Ville de Genève et donnée à la ville. L'année suivante a lieu la signature d'une Charte d'amitié entre Genève et Shinagawa.

Depuis les liens entre les deux nations se sont approfondies. La situation spécifique de la Suisse, au centre de l'Europe, et néanmoins non-membre de la Communauté Européenne, incite nombre de compagnies japonaises à établir en Suisse leur centre de commande européen. En 2009 le traité de libre échange devient effectif. Et de même que l'incendie en 1993 du pont de Lucerne avait ému les Japonais, qui contribuèrent généreusement à sa reconstruction, le récent cataclysme du 11 mars 2011 au Nord-Est du Japon et ses conséquences tragiques ont suscité un profond mouvement de solidarité en Suisse, renforçant les liens entre les deux populations.

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