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attentats au gaz sarin de Tokyo : ce qui se cache derrière la secte Aum

Raté des services secrets japonais, myopie dramatique des forces de sécurité, les attentats du 20 mars 1995 ont braqué le projecteur sur une étrange secte millénariste forte de 40 000 adhérents comptant dans ses rangs beaucoup de scientifiques et de policiers. Alors si comme le veut la maxime il n'y a pas de coïncidences dans le monde du renseignement, les étonnantes erreurs des services secrets japonais cacherait quelque chose de plus important ?

Pour comprendre la passivité des services japonais, rappelons qu'en 1995 le Japon connait 20 ans de tranquillité. L'armée rouge Japonaise a été éliminée dans les années 1970. Les services de sécurité se sont concentrés sur de nouvelles menaces : les mafias chinoises et coréennes ; les organisations de gauche, syndicats et partis politiques, surveillées de près  par la 1ère division du Koancho (Agence Publique de Sécurité). Seule menace notable, le Chukaku-ha, groupe paramilitaire gauchiste qui a saboté le réseau ferroviaire en 1986, tiré aux missiles sur le palais impérial et tenté de perturber l'accession au trône de Akihito en piratant la retransmission télévisée. Mais les sectes sont hors de son champs de vision.


Pourtant Aum attire l'attention des services de police. Aux  infiltrations dans des bases de l'armée, s'ajoutent des opérations audacieuses comme la tentative de kidnapping de la fille du commandant Masaru pour le forcer à rejoindre la secte. Une petite liste permet de saisir l'ensemble des délits/crimes de la secte et la passivité de la police/justice.
  • 1988-1989 : un membre meurt suite à un incident pendant une séance d'initiation, un des témoins est éliminé
  • 4 novembre 1989 : enlèvement et assassinat de l’avocat Tsutsumi Sakamoto, de son épouse et de son bébé de quatorze mois ; il représentait un groupe de familles qui avaient porté plainte contre la secte.
  • 1993 :  tentatives de meurtre contre plusieurs personnes qui critiquent la secte ou sont vues comme des concurrents : les leaders des groupes religieux Kōfuku-no-Kagaku (Ryuho Okawa) et Soka Gakkai, Dave Spector, deux députés et l'écrivain Yoshinori Kobayashi ; deux tentatives d'assassinat seront effectivement accomplies contre ce dernier en 1994  et  contre Ryuho Okawa au début de 1995
  • 30 janvier 1994 : assassinat du pharmacien Naoki Ochida dans un hôpital de la secte. Éprouvant des doutes sur les soins donnés, il persuade une patiente de quitter Aum ; découvert, le gourou le fait assassiner par le fils de la patiente 
  • 27 mars 1994 : la secte fait enlever par ses deux filles adeptes un hôtelier de Miyasaki pour l’obliger à faire don de sa fortune ; ayant feint de se convertir, il est libéré au bout de cinq mois et porte plainte contre ses filles et un responsable d’Aum. Les cadres d’Aum réussissent à persuader la justice que la secte elle-même n’est pas impliquée ; les deux filles sont seules condamnées. 
  • 28 février 1995 : enlèvement et meurtre de Kioshi Kariya, frère d'une adepte en fuite et notaire de profession ; il refusait de révéler la cachette de sa sœur et de donner sa part de l'héritage à la secte.
La mort de Murai Hideo
Il faut attendre cette dernière affaire (ajoutée aux opérations de trafic d'armes, voir article précédent) pour que la police se décide à intervenir contre la secte. Cette décision provoquera les attaques précipitées du métro de Tokyo. L'enquête menée aux lendemains des attaques lève le voile sur l'étonnante protection dont a bénéficié la secte. Quelques faits sont troublants. En 1991, l'administration de l'université russo-japonaise de Moscou est confiée à la secte Aum. La secte compte dans ses rangs un certain nombre d'agents du Naisho sans que l'on ait réussi à savoir s'il s'agissait d'agent double ou d'agent infiltré. Murai Hideo, l'homme qui en savait le plus sur les recherches de la secte est assassiné par Jo Hiroyuki un coréen de deuxième génération appartenant au yamaguchi gumi, une mafia japonaise le 23 avril 1995, un mois après les attentats. L'université russo-japonaise de Moscou brûle de manière étrange le 26 mars 1995, cinq jours après les attentats. Le plus étrange concerne le nombre élevé de "cerveaux" recrutés par la secte au point d'alimenter les plus folles rumeurs : la secte aurait travaillé sur des armes sismiques qui seraient à l'origine du séisme de Kobé (le gourou ayant déclaré le 8 janvier 1995, 9 jours avant la catastrophe l'imminence d'un séisme vraisemblablement autour de Kobé). Derrière ces fantasme se trouve pourtant une part de vérité. 

La secte a eu un double rôle. D'abord elle a mené des recherches dans les domaines de la guerre bactériologique, chimique et électronique au profit d'officines privées et publiques en lien avec les forces d'autodéfense et de la fraction la plus à droite du PLD. Pour preuve la naissance de la secte au moment où le président Reagan et le premier ministre Nakasone lançaient le programme de "guerre des étoiles" Ensuite elle a servi d'aspirateurs pour récolter informations et chercheurs en Russie d'où son influence dans l'université russo-japonaise à travers laquelle de nombreux savants russes ont été approchés et captés. Avec la chute de l'URSS, quelques officiels se préparent à la future confrontation avec la Chine en accélérant les travaux de recherche. Thèse iconoclaste ? pas tant que cela puisque un précédent existe. La secte Soka Gakkai a été soupçonnée de mener des opérations d'espionnage industriel en France au travers de ces activités "religieuses". Et l'aspect précipité des attaques du métro confirme la volonté du gourou de masquer l'ampleur de ses actions qui ont sans doute dépassé ce qu'il était autorisé à faire.

Il semble que la secte ait joué un rôle de paravent pour des opérations illégales. Mais l'instabilité de son gourou a provoqué un drame et dévoilé un écheveau complexe où gravitent officines secrètes, mafias et groupes politiques qui ont vite étouffé pour éviter le scandale général.

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